Commentaire de
Nietzsche
Les considérations inactuelles
seconde considération: de l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie
Réalisé dans le cadre du cours "lire les philosophes" de Coralie Camilli
La philosophie de Nietzsche est de la dynamite. Il détruit toutes les valeurs traditionnelles, remet en question sa discipline (et jusqu'à la légitimité de cette discipline) depuis Platon, va à l'encontre de la science, de la sociologie, de toutes formes de savoir et reconstruit un système qui porte nécessairement à débat. Si il n'a eu que peu d'adeptes, il a néanmoins donné un coup de pied magistral à la philosophie. Philosophe souvent contradictoire, "anti-antisémite" récupéré par les nazis, Nietzsche est complexe et paradoxal. Pour construire sa morale, il s'appuie sur une seule valeur que toutes les autres doivent servir pour être légitimes: la vie, c'est-à-dire la volonté de puissance. La vie n'est ni bonne ni mauvaise en soi, elle cherche simplement à augmenter, et c'est ce qui lui nui qui est mauvais. Il faut augmenter sa propre volonté de puissance, c'est-à-dire éliminer toute chose qui pourrait lui nuire. Mais chacun a une volonté de puissance différente. On n'est dans le bien, le juste, le vrai, non pas comme l'affirmait Platon et les dualistes en général en s'éloignant de son corps physique pour privilégier son âme, mais au contraire en nourrissant ce corps autant que l'âme. Le monde n'est que matériel. Le Surhomme serait celui qui voudrait absolument revivre sa vie éternellement exactement telle qu'elle a été et telle qu'elle sera sans connaître le futur, celui qui aime la vie plus que tout, et qu'il aime avec toute la souffrance qu'elle contient, celui qui sait se tenir sur l'instant avec certitude également. En s'appuyant sur ce système il s'attaque, dans la seconde considération intempestive, à l'Histoire, et pose la question de son utilité pour la vie, il examine également si elle peut lui nuire.
Il s'attaque d'abord à la notion d'Histoire traditionnelle et la dit morte, Il oppose l'Histoire comme science pure, immobile et inutile, à l'Histoire en marche, dominée par une force plus puissante, utile à la vie, en mouvement. Puis il explique comment l'Histoire peut être au service de la vie en la rejetant comme science absolue.
"Un phénomène historique, exactement et entièrement connu, totalement transformé en un phénomène cognitif, est pour celui qui le connaît un objet mort". Nietzsche dévalorise d'emblée l'Histoire en tant que science pure. On comprend que pour lui il y a différents types d'Histoire. Il va critiquer un de ces types d 'Histoire, celui qui fait d'elle une science, parfaitement connue, immobile qui a pour seul but un savoir parfaitement désintéressé (considéré comme le plus noble des savoirs par Aristote, méprisé par Nietzsche). ll l'appelle "objet mort". Il l'oppose donc à la vie, à la volonté de puissance ce ne peut donc être qu'un objet mauvais. Cet objet, mort ne peut plus croitre. Mais cet objet est mort uniquement "pour celui qui le connaît". C'est-à-dire que pour quelqu'un qui ne le connaît pas il peut encore être en mouvement, en vie. Ce phénomène n'est néfaste car partir du moment ou il est parfaitement connu, il n'est pas nécessairement néfaste pour tout homme.
Si l'Histoire comme science pure nuit à la volonté de puissance, c'est aussi parce qu'elle est décevante, "car l'historien découvre ainsi l'illusion, l'injustice, la passion aveugle et la limitation toute terrestre qui sont à l'origine de ce phénomène et d’où celui-ci tire sa puissance historique". L'historien "découvre" tout cela, c'est-à-dire qu'initialement ce n'était pas ce qu'il recherchait en l'Histoire. Il cherchait quelque chose de non terrestre, qui ne soit pas le fait des hommes. On peut relever l'ironie de cette phrase Nietzsche critique à la fois le dualisme, le déterminisme historique, Kant, Hegel et Marx. Le terme illusion renvoie au dualisme, il fait immédiatement penser au mythe de la caverne de Platon et à l'opposition du monde des idées au monde matériel. L'historien chercherait donc quelque chose qui appartiendrait au monde des idées et ne trouverait qu'un phénomène tout terrestre, matériel. Il s'oppose à Hegel. En effet ce dernier croit en un déterminisme historique: la raison serait l'objet de l'Histoire. Elle commanderait son évolution. Il pense que la "raison universelle" s'applique à l'Histoire de manière logique. L'histoire serait la réalisation de l'esprit. Elle appartiendrait donc à un monde des idées supérieur au monde terrestre. Or pour Nietzsche le déterminisme historique n'existe pas, l'Histoire est aveugle et on ne peut plus terrestre, simple fruit des passions des hommes. Elle ne suit aucune autre logique que celle de la vie qui veut simplement croitre. Elle est due au hasard et n'obéit nullement à la raison. Elle ne repose sur rien de concret et n'a pas de fin puisqu'elle est le simple résultat de la vie et que la vie est toujours en mouvement, contrairement à ce qu'affirment Hegel et Marx, qui pensent que l'histoire à une fin marquée par la cessation de la violence et de l'aliénation chez Hegel et par la fin de la lutte des classes chez Marx. L'erreur fondamentale consiste donc à rechercher une logique et un signe d'une entité supérieure dans l'Histoire. L'illusion contient une part de désir, elle cherche à satisfaire un besoin; celui de croire que le monde peut être meilleur, que la souffrance peut cesser, et aussi celui de penser que l'Homme est au centre de tout. Spinoza voit dans l'anthropocentrisme le fondement de l'illusion et notamment de celle qui veut que l'histoire soit construite par l'Homme et ai une fin, Nietzsche est de son avis. Ce n'est pas l'Homme qui est au centre de l'Histoire, mais la vie. Et la vie est un éternel retour, tout ce qui est l'objet d'une volonté authentique se perpétuera indéfiniment, et c'est la cas de l'Histoire. Pourtant c'est de cette illusion anthropocentriste qu'un phénomène historique tire toute sa puissance pour l'Historien. Une fois que l'une a disparue, l'autre aussi. Ce n'est pas pour autant que les historiens dénoncent cette illusion, il y a là une sorte d'hypocrisie.
Kant, philosophe du devoir, pense que la nature force l'Homme à s'élever de lui même par le travail et la culture. Or pour Nietzsche l'Homme fait partie de la nature (la vie) qui ne désire que croitre, elle ne le force donc pas il le fait de lui-même puisqu'il fait partie d'elle. Et cette croissance n'est pas morale ou spirituelle, c'est une croissance de sa puissance. Pour Kant l'Histoire est conçue comme un progrès, elle est éducatrice de l'Humanité qu'elle oblige à s'améliorer sans cesse pour mieux partager la liberté et la justice. Mais pour Nietzsche l'Histoire est injuste et le sera toujours. Elle ne s'élève pas, elle est circulaire, c'est la vie seulement qui croit.
L'Histoire est faite de "passions aveugles", c'est à dire d'élans non contrôlés, de pulsions irréfléchies. Elle est totalement à l'écart de la volonté humaine qui ne peut rien y changer. Elle est le fruit du hasard le plus pur. Pour l'Historien qui a découvert tout ça, l'Histoire est morte comme dieu est mort car c'est la perception de l'Homme qui les fait tous deux vivre ou non. La passion, l'illusion, l'injustice renvoient nécessairement à la frustration et au ressentiment. Or ceux qui subissent ces sentiments vont, par esprit de vengeance et à cause de leur impuissance, tenter de nuire à la volonté de puissance.
La puissance de l'Histoire est donc "maintenant devenue pour lui, l'Homme de connaissance, impuissante: mais peut être pas encore pour l'Homme vivant". Cela sous entend que l'Homme de connaissance est un homme mort. En effet puisqu'il va tenter de nuire à la vie par ressentiment. Néanmoins celui qui ne connaît pas l'Histoire celui qui est dans la volonté de puissance, l'homme vivant, peut-être s'approprier l'Histoire de manière à ce qu'elle serve cette volonté.
"L'histoire, conçue comme science pure et souveraine, serait pour l'humanité une sorte de conclusion et de bilan de l'existence". Le terme de "conclusion" renvoie encore au déterminisme historique. Nietzsche ne pense pas que l'Histoire puisse avoir de conclusion, de fin. L'Histoire comme science pure serait en quelque sorte une fixation de la vie a un moment donné, et la vie étant en mouvement, si elle cesse de l'être on peut parler de mort. Un bilan suppose aussi une analyse et un jugement. Or la vie n'est ni bonne ni mauvaise en soi, par conséquent il semble absurde de l'analyser et de la critiquer. L'Histoire comme science pure serait nécessairement négative pour la vie. Nietzsche précise "pour l'humanité": les animaux ne se soucient pas de l'Histoire, seuls les hommes le font. L'histoire n'et rien pour la vie, il n'y a que les hommes pour vivre dans le passé.
"La culture historique n'est salutaire et porteuse d'avenir que dans le sillage d'un nouveau et puissant courant de vie, comme élément, par exemple, d'une civilisation naissante, c'est-à-dire seulement lorsqu'elle est dominée et dirigée par une force supérieure et n'exerce pas elle-même cette fonction dirigeante". Nietzsche prend soin de ne pas parler d' "histoire", mais de "culture historique". Peut être entend il par là que l'Histoire n'est pas nécessairement science pure mais peut être sélectionnée. La culture suppose une évolution, contrairement à l'Histoire comme science pure, la culture historique n'est pas figée. Ce terme inclut à la foi une notion de vie et de mouvement. On cultive des plantes et celles-ci changent chaque jour, elles finissent pour certaines par donner des fruits que l'on va cueillir. La culture historique apporte donc quelque chose à l'homme. Mais il s'agit aussi d''une critique envers Hegel. Pour lui la culture est un processus historique au cours duquel l'homme apprend à connaître et à dominer le réel. Or pour Nietzsche l'histoire doit être "dominée et dirigée par une "force supérieure", ce n'est donc pas à l'Homme de laisser son empreinte sur la réalité mais à cette réalité elle-même découlant de la vie. L'homme veut souvent tout contrôler car il se pense meilleur que tous les animaux et se compare à un dieu. Mais il n'est qu'un animal plus faible que les autres car il réfléchi, a une mémoire et une conscience de la mort. Mais il ne peut contrôler l'histoire. Si il essaye il la transforme en force négative car il l'engourdit. Il est le seul animal à avoir une histoire, il est l'histoire et comment peut on contrôler ce que l'on est sans se trahir sois même? La culture historique n'est bénéfique que lorsque l'homme cesse de vouloir tout maitriser et que les masses se révoltent, quand les codes sont brisés, quand elle fait naitre quelque chose de nouveau et de plus propice à la vie, quand elle augmente la volonté de puissance et à l'instant et sur le long terme.
Quand Nietzsche parle de "force supérieure" on peut aussi se demander si il n'introduit pas une forme de mysticisme dans sa philosophie très matérialiste.
"Dans la mesure ou elle sert la vie, l'histoire sert une force non historique, elle ne pourra et ne devra donc jamais devenir, dans cette position subordonnée, une science pure comme par exemple les mathématiques". Nietzsche affirme donc qu'une histoire de la vie n'est pas possible. L'histoire doit servir la vie, elle est son esclave, elle ne doit que l'aider. Si par histoire on entend genre humain, alors l'histoire ne doit pas servir ce genre humain en lui même mais plutôt sa volonté de puissance. Elle ne doit pas devenir une science pure tout d'abord parce que cela la figerait, l'éloignerait de la vie, mais aussi parce qu'elle ne peut pas être universelle, si elle le devient, c'est qu'elle aura forcément été manipulée. L'histoire ne doit pas devenir une science pure car elle ne doit pas être analysée, elle doit uniquement servir une force créatrice.
"Quant à savoir jusqu'à quel point la vie a besoin des services de l'Histoire, c'est là une des questions et des inquiétudes les plus graves concernant la santé d'un individu, d'un peuple, d' une civilisation". La question se pose de savoir jusqu'à quel point l'histoire peut être utile à la vie, et aux différents corps sociaux. Car en effet l'histoire semble pouvoir lui être utile, néanmoins elle peut aussi lui être néfaste dés qu'on dépasse la dose prescrite par Nietzsche. Si l'homme vit trop dans le passé, il se perdra. "Car trop d'Histoire ébranle et fait dégénérer la vie , et cette dégénérescence finit également par mettre en péril l'Histoire elle-même". Cette phrase bilan résume la réflexion qu'a Nietzsche depuis le début de cet extrait.