Compte-rendu de lecture, "L'apocalypse Joyeuse", Jean-Baptise Fressoz, chapitre sur la vaccination
Compte rendu réalisé dans le cadre d'une validation pour le séminaire médecine et philosophie de l'UPEC
L’apocalypse est à l’heure actuelle un des thèmes les plus récurrents du cinéma et de la littérature. Destruction nucléaire mondiale, création d’un virus artificiel ou encore réchauffement climatique extrême nourrissent les fantasmes de l’imaginaire. Si ces thèmes sont aussi populaires à l’heure actuelle, c’est parce que la perspective d’une destruction planétaire par les activités humaines est de plus en plus discutée. Néanmoins, ce thème est loin d’être nouveau. Nous pensons observer ces dernières années une augmentation des préoccupations face à la technique, à la technologie et aux risques scientifiques. Or, ces préoccupations ne datent pas d’hier. Dans l’apocalypse joyeuse, Jean Baptiste Fressoz; historien et chercheur au CNRS spécialisé dans l’histoire environnementale, questionne nos perceptions du risqu technologique et environnemental à travers l’histoire de ces derniers. Il utilise dans cet ouvrage un double regard philosophique et historique.
Il met en valeur une évidence: les techniques ont toujours fait peur, ce n’est pas une problématique contemporaine. Les risques encourus face aux techniques ont toujours été présent autant dans la conscience populaire que dans celle des innovateurs. On a quand même décidé de prendre ces risques. Des problématiques telles que celle du risque vaccinal ou encore celle de la pollution étaient déjà un enjeu au XVIIIème siècle. Le gaz d’éclairage en est un bon exemple: on avait conscience de sa dangerosité, surtout en milieu urbain où des explosions auraient eu des conséquences catastrophiques, on a quand même décidé de prendre ce risque tout simplement car le confort apporté était plus important que le risque encouru. Mais les innovations ont parfois pu être adoptées grâce à une certaine politique gouvernementale menée de manière indirecte, c’est particulièrement visible dans le cas de la vaccination.
Le titre de l’ouvrage, L’apocalypse joyeuse, est un oxymore. Le terme d’apocalypse appelle à un imaginaire biblique. L’apocalypse est perçue comme une possibilité catastrophique. On en entend principalement parler à l’heure actuelle face aux problématiques écologiques supposant une fin du monde par la technique. Néanmoins, étymologiquement, apocalypse veut dire révéler. Bibliquement, l’apocalypse fait référence à une révélation de Dieu, à une fin du monde vers Dieu. C’est supposé être un événement joyeux. L’apocalypse suppose la fin d’un monde pour en construire un nouveau. Le terme d’apocalypse est finalement un oxymore en lui-même, il s’agit d’une destruction douloureuse qui permet de construire un nouveau monde. L’idée d’apocalypse est souvent considérée comme ce qui se situe à la fin de la technologie. L’idée également exprimée par le titre est l'ambivalence entre le positif apporté par la technologie, notamment le confort qu’elle garantit, et le chemin qu’elle trace vers un risque fort; possiblement la fin de l’humanité. Dans l’imaginaire de la science fiction, l’idée d’apocalypse est utilisé comme critique des technologies.
Mais est-ce que nous n’avons pas justement de plus en plus confiance en la technique? Dans son introduction, Jean-Baptiste précise “le “siècle du progrès” n’a jamais été simplement technophile. L’histoire du risque technologique [...] n’est pas l’histoire d’une prise de conscience mais l’histoire de la production scientifique et politique d’une certaine inconscience modernisatrice”. A l’heure actuelle, la technique est partout. ordinateurs, liseuses, tablettes, portables, cigarettes électroniques, éclairage connecté, suivi sportif et sanitaire par objets connectés… On est pas loin de la machine à café qui s’allume en même temps que le réveil. Certaines habitations sont totalement connectées. Les objets de la technique nous permettent de nous simplifier la vie voir d’améliorer notre santé. Cela peut même aller jusqu’à permettre, dans une sorte de paradoxe , un retour aux conditions de vie naturelle par le connecté (éclairage connecté par exemple). Le dépassement de l’homme par sa technique n’est pas nouveau non plus. Si aujourd’hui nous nous inquiétons devant les intelligences artificielles qui dépassent l’intelligence humaine (au grand damn de Kasparov), Eugène Huzar s'inquiétait déjà du dépassement de l’homme par sa technique en 1855 dans la fin du monde par la science. Mais déjà en 1532, Rabelais nous disait que “science sans conscience n’est que ruine de l’âme”, citation répétée souvent dans les débats contemporains sur le risque technologique. Huzar nous semble en avance sur son temps, alors même que le problème qu’il pose, à savoir le problème du manque de conscience qu’a l’homme de sa science, n’est pas nouveau. Huzar craint les conséquences a posteriori de la science expérimentale, qui aujourd’hui nous semblent effectivement catastrophiques. Mais existe-t’il une science sans expérience? Une science sans risque?
Ainsi, ce que nous révèle l’apocalypse joyeuse, c’est que des débats que nous croyons nouveaux sont en réalité présents depuis l’invention de la technique qui leur est associée. Le débat actuel sur la vaccination est bien présent depuis son invention, si ce n’est que les rôles se sont inversés. A l’heure actuelle, les personnes qui refusent la vaccination (nommés antivax) sont considérés comme égoïstes et dangereux pour les autres. Or, lors des premiers pas de la vaccination, et notamment avec l'inoculation, c’était ceux qui choisissaient de se protéger contre le virus par ce biais qui étaient mal perçus. En effet, l'inoculé était contagieux pour son entourage. D’autre part, l’inoculation était perçue comme une manière de résister à la volonté de Dieu.
L’apocalypse joyeuse est divisé en quatre chapitres. Les deux premiers; sur lesquels nous nous concentrerons; sont nommés l’inoculation du risque et le virus philanthropique; ils portent sur la vaccination et l’expérimentation humaine. Les deux derniers chapitres portent sur les problèmes environnementaux.
L’inoculation précède la vaccination. Fressoz en détaille le processus dans son ouvrage. Si il n’y avait pas une seule manière d’inoculer, le principe restait partout le même: faire passer le virus dans le corps de l’inoculé afin que celui-ci développe les défenses immunitaires adaptées. Contrairement à la vaccination comme nous la concevons aujourd’hui, l’inoculation perpétuait donc le virus. Face à l’inoculation; “deux positions s’affrontaient: les incolateurs défendaient la liberté des individus de se protéger; leurs opposants la discipline collective qu’impose une police de la santé”. Le même débat se pose à l’heure actuelle avec néanmoins une inversion des rôles. La liberté de se faire vacciner ou non est un débat tout autant politique que médical. En effet, d’un point de vue libéral, cette liberté concerne les corps des individus et devrait donc leur revenir. Néanmoins, l’argument principal pour plaider la vaccination obligatoire est le danger que fait courir aux autres le fait de ne pas se vacciner. En effet, cela permet aux virus de persister et donc augmente le risque de contagion des personnes trop fragiles pour se faire vacciner. Le même type d’argument était utilisé contre l’inoculation. En effet, l’inoculation augmentait le risque de contagion car le malade s’exposait au virus encore transmissible. Il était ainsi contagieux pour son entourage.
D’autre part, la maladie était considéré comme un châtiment divin. L'inoculation était donc une forme de résistance à Dieu, une hérésie. Considérée comme telle, elle n’était pas vue d’un bon oeil. L’arrière plan philosophique et social lors de l’apparition de l'inoculation est celui de la nature comme morale. Or, l’inoculation était considérée comme contre-nature. L’aspect du pus, repoussant, incite plutôt à s’en tenir loin qu’à l’insérer dans un corps. D’autre part, certains soulèvent que les animaux ne se font pas inoculer. L’inoculation est perçue comme un moyen contre-nature d’agir sur un corps sain. Les débuts de la médecine préventive sont mal acceptés. D’autre part, on observe une sorte de peur d’un eugénisme naissant avec l’inoculation: “Les médecins seraient entraînés sur une pente interventionniste dangereuse visant à l’amélioration sans fin du corps humain selon les désirs des patients”. L’inoculation va ainsi contre le destin donné par Dieu. Pour faire accepter l’inoculation, il faut l’inscrire dans la nature.
Les calculs faits sur l’inoculation démontrent que la population vivrait plus longtemps et en meilleure santé avec une pratique d’inoculation systématique. L’intérêt de l’Etat n’est donc pas de bloquer la progression de l’inoculation mais bien de l’encourager. La religion, utilisée jusque là comme contrôle des corps, est alors ce qui provoque une perte de contrôle sur ces derniers. L’Etat doit donc reprendre le contrôle sur les corps des individus par d’autres procédés. On va donc encourager l’inoculation comme un acte de courage, brave et raisonné. On joue sur l'ambiguïté du procédé: l’inoculation est un acte courageux car elle comporte un risque. En effet, ce n’est pas un procédé sans risque, le virus peut gagner du pouvoir sur le corps du malade et le tuer. Seulement, les probabilités de mourir de l’inoculation sont plus faibles que celles d’attraper la petite vérole et d’en mourir, possibilité contre laquelle elle protège. Il est donc rationnellement logique de choisir l’inoculation. Les femmes sont très critiquées face à ce choix et, les mères principalement, servent de figure antinomique à l’homme brave et courageux. Elles sont présentées comme des êtres faibles et irrationnels, qui n’ont pas la présence d’esprit de voir que l’inoculation est la meilleure option pour leurs enfants et manquant de courage. Seules quelques figures de solides matrones censées émergent comme modèles. L’argument utilisé contre l’idée de la maladie comme punition divine, c’est que ce que veut Dieu c’est la meilleure probabilité de protection de la vie et donc l’inoculation. Il serait donc légitime et dévot de se faire inoculer. On tente de transformer les individus en sujets calculateurs et rationnels.
Suite à l’inoculation est découverte la vaccine. Le principe de la vaccination est le même que celui de l’inoculation, seulement le virus utilisé dans ce cas est celui d’une maladie de la vache, vaca en latin. Ce virus n’est pas mortel pour l’homme mais lui permet de développer des réponses immunitaires. De nombreux mensonges de l’Etat mais aussi des médecins naissent autour de cette vaccination. On la présente comme un improbable virus non viral. On tente de gouverner les corps en orientant les perceptions. On présente également la vaccination comme un acte philanthrope et créateur de lien entre les classes sociales. Le prélèvement du fluide vaccinal se fait en effet du bras d’un enfant, généralement de classe populaire; à celui d’un autre enfant; généralement de classe bourgeoise.
La volonté qui se manifeste derrière la vaccination est celle de produire un moyen de protéger la population sans risque et accessible à tous. Toute pratique mercantile autour de la vaccination est fortement réprouvée dans le but de ne pas présenter une barrière aux populations les plus dévalorisées. Néanmoins, cela freine la recherche autour de la vaccination car elle dispose de moins de fonds.
La recherche autour de la vaccine s'effectue sur les enfants trouvés. Ils sont traités comme des corps éprouvette, aucune pitié ne leur est accordée. En revanche leur fluide vaccinal est considéré comme de mauvaise qualité et potentiellement dangereux. On observe un certain décalage entre l’image philanthrope que veut s’accorder la vaccination et le traitement dépersonnalisant de ces enfants.
L’histoire de la vaccination n’est donc pas celle d’un antidote en ligne droite universellement accepté, et les débats qui l’entourent ne sont pas une nouveauté. Si il s’est toujours agit d’un moyen de protection, de nombreux doutes ont été émis à son encontre. Ce n’est pas une histoire uniquement médicale, mais bien une histoire profondément politique. A la fois philanthrope et dépersonnalisant, le geste vaccinal a d’abord été ambigu.