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Traduction de l'introduction à "The Disease of Virgins; Chlorosis, Green Sickness and the Problems of Puberty"; Helen King; Routlege; 2004; Londres

Effectuée dans le cadre de la validation anglais LV1, deuxième année de Master philosophie éthique, normes et savoirs 

Qu’est-ce que la « maladie des vierges » ? Une réponse simple à cette question serait qu’il s’agissait historiquement d’une maladie impliquant un manque de menstruation, des perturbations du système alimentaire ; une couleur de peau altérée et une faiblesse générale ; dont on pensait autrefois qu’elle affectait, presque exclusivement, les jeunes filles au stade de la puberté. Cette réponse peut sembler survoler d’autres questions qui devraient venir en priorité. Par exemple, qu’est-ce qu’on entend par « une » maladie ? Est-ce que toutes les jeunes filles diagnostiquées comme souffrant de cette maladie étaient dans le même état ? Etaient-elles même malades ? Lorsque nous essayons de comprendre une maladie qui a obnubilé l’imaginations des gens dans le passé, est-ce que l’enquête menée est finie si nous pouvons faire correspondre les symptômes listés dans nos sources à un seul nom de maladie reconnue aujourd’hui ? Où est-ce que c'est à ce moment-là que le rôle de l'historien commence vraiment ? comme Irvine London l’a admirablement clarifié, le problème d'un diagnostic rétrospectif consiste à attendre de réconcilier des preuves conflictuelles pour le bien d'une seule hypothèse de maladie : les attentes sont erronées et condamnées à l'échec (1984 :32).

            Ceci n'est pas cependant, un livre qui cherche à mener un nouveau diagnostic de la maladie des vierges dans le but de l'identifier dans des termes du vingt-et-unième siècle. Comme Johann Jakob Brumberg (1982 : 1469 ; cf. Green 2001 : 65–6), je ne pense pas qu'il y ait un simple équivalent au cas par cas entre les catégories orientales modernes de la biomédecine et celles du passé. Au lieu de cela mon intérêt se trouve dans la découverte des origines, l’usage de l’idée de la « maladie des vierges » et la raison de sa popularité ; pas seulement dans les manuels et traités mais également dans la littérature populaire ; comme les balades et les jeux, ainsi que dans les collections de recettes de remèdes, incluant celles gardées par les femmes. Les études de cas des médecins dans lesquelles la compréhension qu’ont les médecins formés à l’université de la maladie qui deviennent des négociations avec l’idée qu’ont les patients de la maladie sont particulièrement nombreuses. En premier lieu, je m’intéresse aux rôles desservis par la « maladie des vierges » dans la pensée sur le corps et la régulation de la sexualité des jeunes filles. Comme l’a remarqué Ian Maclean (1980 :46) dans son importante étude des idées de la renaissance à propos des femmes, les écrits médicaux « produisent une justification « naturelle » pour la relégation des femmes à la maison et leur exclusion de l’espace publique ». En élargissant cette catégorie à la gynécologie, quel est le message des discussions sur la « maladie des vierges »?

            Dans un important essai sur la nature de la maladie, Charles Rosenberg (1922 ; XIII) note qu’« une maladie n’existe pas en tant que phénomène social jusqu’à ce qu’on se mette d’accord qu’elle l’est – jusqu’à ce qu’elle soit nommée ». Pour la maladie des vierges, cela concentre notre attention sur la période où ce nom lui a été donné pour la première fois, et les autres noms qu’on a pu lui donner changeaient le caractère de cette pathologie, les explications données pour ses symptômes ont pu produire une fenêtre d’interprétation très large pour la médecine. La « maladie des vierges » ou morbus virgineus est juste un des nombreux noms pour un large groupe de symptômes similaires, à travers une période de 400 ans, qui s’étend de 1554 aux alentours de 1930 ; les autres noms utilisés sont entre autres : la fièvre blanche, la maladie verte, la chlorosis (un nom à connotation technique basé sur chloros, un terme grec pour décrire un « vert jaunâtre ») et, à partir du milieu de dix-neuvième siècle, anémie hypochromique. La médecine française a également appelé cela « les pales couleurs » l’allemande « bleichsucht » et le néerlandais « geelzucht » qui suggèrent également une « maladie pale ». Ces noms révèlent la propension de la médecine pré moderne à effectuer des diagnostiques en se concentrant sur la couleur. Mais de nombreuses étiquettes ont toujours été valables pour qualifier une jeune fille, « pale, comme exsangue », avec des schémas alimentaires flous et qui n’ont pas leurs menstrues. Différentes histoires peuvent être racontées sur la manière dont la consommation de nourriture est susceptible d’affecter les cycles menstruels, ou sur l’accumulation de sang menstruel qui est supposé réduire l’appétit pour la nourriture, ou d’autres facteurs qui sont tous supposés affecter l’appétit et le cycle menstruel. De nos jours, je pense que nous nous focaliserions sur les schémas alimentaires, sans nous inquiéter indument de l’absence de périodes menstruelles, nous nous questionnerions sur l’image que la patiente a de son corps, et nous diagnostiquerions certainement une anorexie nerveuse. Il a en effet été soutenu que le déclin de la chlorosis correspond chronologiquement à l’apparition de l’anorexie nerveuse comme affection culturellement typique chez les jeunes filles (Loudon 1980 :1674 ; 1984) ; Margaret Humphreys a été plus loin, qualifiant l’anorexie nerveuse de « synonyme de la chlorosis » (1997 :163 ; cf. Theriot 1988 :121). Au début de la période moderne, ce nom n’avait pas été encore été créé ; cependant, une jeune fille avec des symptômes caractéristiques de la maladie des vierges pouvait aussi être supposée souffrir d’une obsession mélancolique, d’une consomption, de cahexia virginea, de maladie de l’amour, d’excès de phlegme ou de rétention menstruelle due soit à une obstruction des voies soit à une faiblesse des facultés d’expulsion de l’utérus. Quels facteurs ont influencé la décision de nommer ces symptômes comme « la maladie des vierges », la « maladie verte » ou la chlorosis » ? Quelles étaient les cons conséquences lorsqu’on était diagnostiquée comme souffrant de « maladie des vierges » et étaient-elles identiques pour une fille, deux cents ans plus tôt, supposée souffrir de chlorosis ?

            A travers son histoire, la maladie des vierges exhibe des similarités et des différences ; à la fois une stabilité et des bouleversements. Vers la fin du seizième siècle, le de mulierum affectionibus de Luis Mercado (1579 : 201) a clamé que morbus vigineus était un nom alternatif pour la fièvre lanche « car on observe que cela arrive à de nombreuses vierges ». Cependant, au début du dix-neuvième siècle, son existence même était menacée. Le médecin de Newcastle Andrew Fogo la qualifiait sans hésitation de « maladie imaginaire » ; écrivant que

De nombreux noms ont été appliqués à la maladie imaginaire, tel que l’aménorrhée, la chlorosis, la maladie verte, la suppression des menstrues, le désir de les avoir, les classes, les fleurs etc

(Fogo 1803 :1)

Fogo combine ce qu’on appellerait maintenant des « symptômes » -absence des menstrues exprimées dans la terminologie classique traditionnelle de la médecine ou avec les euphémismes actuels- avec des noms de maladies comme la chlorosis. Cette tendance est même plus typique dans la médecine pré moderne occidentale, où nos sources qualifient souvent de « maladie » ce que l’on ne regarderait que comme des symptômes ; par exemple une migraine ou une léthargie, pouvaient acquérir le statut de maladie (Wear 2000 :106-9). Cependant, bien qu’il y ai en général des degrés ou des différences sur ce sujet entre le début de la médecine moderne et le reste de la médecine moderne, nous ne devrions pas créer une dichotomie trop frappante. Dans Les trésors cachés de l’art médical, publié en 1659, le chapitre sur la maladie verte parle de « pisser du sang », et est immédiatement précédé de « l’arrêt des règles ». Ici, la maladie verte est une maladie au même titre que d’autres, placée logiquement après la perte pathologique de sang, mais distincte de la simple absence de menstruations, qui est elle-même classée alors comme une maladie. Au début du dix-huitième siècle, John Maubray (1724 : 42) a noté que la maladie des vierges » était « représentée et considérée de diverses manières ; parfois comme une maladie ; parfois comme un symptôme ».

            Derrière des changements apparents, l’étude de la maladie des vierges révèle ainsi une continuité formidable. Le commentaire de Fogo nous donne également une généalogie longue de 200 ans sur la question de savoir si la chlorosis a réellement existé : est-ce une maladie imaginaire ou une maladie réelle ? Pour les besoins de ce livre, la question n’est pas centrale ; incessamment transformée, la maladie continue à être diagnostiquée. Plus tard dans le dix-neuvième siècle, Samuel Osborne Habershon (1863 ;518) considérait toujours que la chlorosis était un « état très simple à diagnostiquer », cependant que Sir Andrew Clark (1887 : 1003) déclarait que « n’importe qui ayant acquis des connaissances médicale grâce à la littérature connait la grande variété de noms qui a été donnée à cette maladie ». Pour ces médecins, l’existence d’une seule maladie derrière ces noms n’était pas à remettre en question. Leur certitude était augmentée par les technologies médicales du dix-neuvième siècle, qui seront discutées dans le chapitre 5 ; en particulier la quantification des pulsations et les tests sanguins ont été utilisés pour soustraire la chlorosis à toute accusation d’être une maladie imaginaire, et pour la distinguer des autres maladies.

            Dans son étude sur la littérature médicale vernaculaire dans l’Angleterre des Tudor, Paul Slack (1979 :268) nota qu’un nombre « satisfaisant » de maladie de ce temps nécessitaient d’inclure non seulement son nom et traitement, mais aussi sa cause. L’explication des causes des maladies des vierges varient en même temps que les connaissances et théories médicales changent à différentes périodes de l’histoire, les symptômes ont été décrits en partant de l’utérus, des intestins, du foie, du colon et du sang. Il y a quelque chose de circulaire dans cette étiologie, étant donné qu’il s’agit presque d’un cycle de vie complet ; dans les années 1550 ces symptômes étaient pensés comme étant les causes d’un sang anormalement épais et gluant qui se bloquait dans les chairs internes de la vierge aux premières règles. Cependant, dans ses années déclinantes, au début du vingtième siècle, cette maladie était redevenue un problème du sang, mais était maintenant perçue comme le résultat d’une pesanteur faible et spécifique ou d’une fabrication inadéquate du sang dans le corps.

            En tant que cause ultime, menant au dérangement des divers mécanismes du corps, elle changea les idées à propos de la virginité et de la puberté décalée. Au début du dix-huitième siècle, le chirurgien Daniel Turner commente explicitement les « diverses appellations » de cette pathologie et note que ce nom de « maladie des vierges » marque la pathologie « comme plus particulière aux jeunes femmes dans l’état de vie solitaire (1714 :90). La pathologie française « les pales couleurs » peut avoir des applications similaires ; un vieux proverbe français, toujours cité au dix-neuvième siècle, affirmait qu’« une fille pale a besoin d’un mâle ». Le terme « maladie des vierges » semble différer des autres, en incluant dans le nom de la maladie son remède : mettre fin à l’état de virginité. Si ce sont seulement les vierges qui peuvent souffrir de cette manière, alors la perte de la virginité devient un traitement, mais qui peut amener les médecins à entrer en conflit avec la société ; pour la plupart cette perte de la virginité prend-elle nécessairement place dans le mariage ? Par exemple, chez Schurig (1730 :117) il était nécessaire de rendre le rapport sexuel, qui était un besoin, licite : « coitus licitus ». Comme je le montrerai dans le chapitre 1, les symptômes de cette pathologie étaient proches de ceux de la maladie de l'amour ; une des manières de comprendre la maladie des vierges et de voir ceci comme une maladie de l'amour sans l'objet d'amour. Le nom de « maladie des vierges» suggère également que la virginité n'est pas toujours une condition de santé, ce qui était problématique dans la société occidentale, ou  le christianisme présentait la virginité comme un style de vie valide pour les femmes. Il ne devrait pas être surprenant que les auteurs protestants et catholiques, qui avaient une approche différente de la virginité tout au long de la vie, pouvaient soutenir d’une certaine manière une position différente sur la maladie. On pourrait arguer que la « maladie des vierges » ne devient possible que durant le 16e siècle, avec la montée du protestantisme qui favorise le mariage comme un but plus enviable que pour une fille chrétienne croyante

            Ceci nous amène à une question dont la réponse devrait être plus facile à donner ; à savoir : quand situer la « maladie des vierges » ? C'est une maladie intéressante pour l'histoire de la médecine parce qu'elle et une des très rare maladies pour lesquels on peut trouver une date de début précise- au milieu du XVIème siècle. Elle est également une des rares maladies qui semble avoir été mise à part au début du 20e siècle. Mais ces dates de début et de fin portent tout de même à débat. En 1554 le médecin Joannes Lange publie ce qui a été par la suite considéré comme la première description médicale de ce syndrome (Crosby 1987 : 2799). Il a laissé un diagnostic dans ses propres mots « sans nom mais non sans traitement », mais il a nommé l’étude de cas de morbo virgineo, « sur la « maladie des vierges » ». En utilisant cette terminologie, cependant, il a présenté non pas une nouvelle maladie, mais plutôt quelque chose qui avait des antécédents anciens. En créant une généalogie classique, il pioche des citations chez Galen, l'extraordinairement prolifique et influent écrivain né à Pergame en Asie mineure en 129 avant JC qui avait été médecin de l’empereur romain Marc Aurèle et sa famille. Il se réfère également au travail associé au grec Hippocrate, le père de la médecine au 4e et 5e siècles avant JC. Lange cite en particulier un cours traité d’Hippocrate connu comme sous le nom «la maladie des vierges ». En conséquent, pour Lange, la maladie n'était pas nouvelle, mais était déjà presque connue dans la Grèce ancienne et à Rome. Concernant la date de fin, la rhétorique de la biomédecine occidentale parle de conquête de la maladie, la notion de maladie en voie de disparition n'étant pas une notion facile pour les auteurs à accepter. La chlorosis disparaît des textes médicaux  au milieu des années 1920-1930 ; cette disparition bien documentée à travers ces vingt-cinq dernières années a été associée à une diète améliorée, à un changement dans la manière de s’habiller des femmes, et un âge plus avancé pour le premier mariage . Cependant, le consensus sur ce qu’était cette maladie reste très faible, il en est de même concernant la raison pour laquelle on ne la trouve plus (Siddall 1982 :254 ). La question de savoir si ça la maladie a été effectivement « conquise » reste ouverte, ou à peine retirée du débat.

            Le malaise à propos d’une pathologie qui disparaît sans raison claire devient particulièrement fort dans le cadre de la « maladie des vierges» en raison de symptômes tels q'une couleur de peau altérée qui peuvent impliquer de multiples diagnostiques. L'idée de jeunes filles ayant une maladie verte et devenant vertes semble absurde aux universitaires modernes qui ne connaissent pas l’arrière-plan de la médecine. Cela a laissé place à la supposition que ce symptôme et par extension la maladie elle-même n'ont jamais existé. Comme je devrais le montrer dans le chapitre 1 , il y a d'autres explications à donner à ces noms qui ne requièrent pas que l'on souffre effectivement d'être littéralement vert, mais elles n’ont pas trouvé les faveurs des auteurs de la médecine, qui continuent d’affirmer que la peau d'une fille atteinte de la chlorotique était effectivement verte. Par exemple, il est écrit par William H.Crosby dans le Journal of American médical association en 1987 :

            « En me basant sur ma propre expérience, je suis convaincu que là chlorosis à existé, parce que j'ai vu une femme atteinte de chlorosis. C'était aux alentours de 1955 ... son visage était vert, cette couleur était accentuée par ses cheveux rouges. Le mot était passé et les docteurs venaient de tous les hôpitaux pour la regarder. »

 (1987 :2799)

Le recours à l'observation de première main – « j'ai vu »- plutôt qu’à la technologie de laboratoire, combiné avec l’accent mis sur le regard médical, et au soutien implicite de l’auteur au témoignage de médecins d’une génération plus ancienne est si fréquente dans les sources médicales que cela suggère que, plutôt que d'être comprise comme une sorte de triomphe en médecine, l'idée de maladie en voie de disparition et sentie comme une menace à l'autorité médicale en règle générale.

            Une telle résistance à l’idée que la « maladie des vierges » avait disparue, ou qu'elle n'avait jamais existé, est symptomatique de la vision particulière qu’en ont les hommes qui ont été appelés pour le diagnostiquer et le traiter. Son créateur Johan Lange avait diagnostiqué une jeune fille, Anna, après que son père inquiet par le danger que son apparence faisait peser sur son projet de mariage lui eut écris pour expliquer ses symptômes. En 1554, Lange publie ce qu'il présente comme la lettre donnant ses conseils à ce père, finissant par dire qu'il espérait être présent au mariage de cette jeune femme ; dans ce cas, le médecin Traitant apparaît comme une figure paternelle pour la jeune fille. Mais d'autres émotions derrière cette pitié expliquent la raison du traitement de cette jeune fille. ici le médecin Frédéric Hollick écrit au milieu du dix-neuvième siècle :

« Le sujet de la chlorosis est peut-être le plus intéressant dans tout ce qui est de l'ordre de la médecine générale quoi que délicat et complexe. Frappése d'une maladie de laquelle elles ont profondément souffert, mais qui laissa souvent leur beauté intacte et pouvait même les rendre encore plus séduisante, elles excitaient une vive émotion de pitié et le plus ardent désir de leur rendre assistance. »

(1852 :193)

Comme j'en discuterais dans le chapitre 3, dans la médecine du dix-neuvième siècle l'arrivée des menstruations était elle-même associée au désir masculin ; et on souffrait généralement de la « maladie des vierges» lors des premières menstruations.  Ambroise Rue décrit « la beauté octroyée par ces premières menstrues, peu importe à quel point elle est triste où languissante, la fraîcheur et l’étincelle qui marque la damnation de sa vie » (1819 :13-14). Un demi-siècle plus tard, Armand Trousseau note dans une lecture sur la vraie et la fausse chlorosis que l'étrange idée que les instincts érotiques sont plus développés chez les femmes atteintes de chlorosis que chez les autres femmes, après avoir germé dans la tête de certains médecins, s'est popularisée, (1872 :112).  Raciborski (1868 :332) tentait également de démolir vivement ce mythe de l'érotisme de la chlorosis ; il affirmait avoir demandé à des filles atteintes de chlorosis leur sentiment à propos de la sexualité, et découvert que presque toutes exprimer leur dégoût la pensée du sexe. Cependant, les médecins continuaient à penser les souffrantes comme attirantes : Lawson Tait (1889 : 283) écrit que là chlorosis pouvait être également appelée « l'anémie des jolies jeunes filles », elle affectait celles avec une couleur de peau d'un joli rose et blanc. Cependant une nouvelle recherche de la beauté de la chlorosis apparaît au dix-neuvième siècle dans les écrits, le thème était déjà trouvé où 16e siècle dans le travail de Luis Mercado (1579 :201 ; cf. également Varandal 1619:4; 1620:2) tandis que que Rodriguez de Castro (1603 : 129) expliquait que certaines filles étaient plus enclines à utiliser seulement ce sang corrompu dont leur corps avait besoin pour se nourrir, et étaient plus enclines à disposer d’un surplus qui leur donnait un assez joli rose. Ce rationalisme découle de la théorie des humeurs sur le corps dans la médecine galénique, qui sera discuté en détail dans le prochain chapitre. Cependant, la description que fait le docteur Bramwell des patientes mérite d’être citée

« Chez les blondes, la couleur de peau a souvent une jolie teinte rosée rouge quand la patiente vient pour la première fois sur prescription médicale ; les patientes souffrant de chlorosis rougissent jusqu’au rouge ; leur peau est généralement fine et délicate ; la teinte temporaire de leur peau qui résulte du rougissement rend de nombreuses filles atteintes de chlorosis très belles... tandis que cette excitation temporaire disparait, le visage devient pâle ... presque entièrement livide »

 (1899 : 32)

La chlorosis se nourrit ainsi dans les discussions contemporaines des médecins. Leurs rapports avec les patientes montrent de quelle manière certaines relations peuvent être compatissantes, mais peuvent rapidement devenir lourdement érotisées. Dans la description de Bramwell, le rougissement de la patiente apparaît comme répondant au médecin aussi ardemment qu'il le fait pour elle.

            Ici, étudier la « maladie des vierges » complémente et défie à la fois le travail sur ce qui a été vu comme la maladie des femmes, par excellence : l'hystérie. Comme par hasard, la Pariente à l’origine du diagnostic de Lange était atteinte à la fois de la « maladie des vierges » et d’hystérie. Elle nous est connue sous le nom d’Anna. Mais le diagnostic à distance d’Anna au 16e siècle à travers une correspondance était à dix mille lieux du « remède par la parole » prescrit à « Anna O. » dans les dernières décennies du dix-neuvième siècle. Précisément au moment où Freud colonise l’hystérie, la mettant à jour et en faisant une pathologie du 20e siècle, la chlorosis commence à s'effacer, disparaissant des traités médicaux au début du 20e siècle.  A la fois la chlorosis et l'hystérie ont des noms connotés sur les bases de racine grecque, mais qui n'ont pas existé comme des maladies discrètes dans l'ancien monde (King 1993 ; 1998 : ch.11) ; l’hystérie a été nommée à partir de l'organe que l'on croyait dominer le corps féminin, l'utérus (en grec hystera). Mais, par contraste avec les femmes hystériques, qui étaient souvent présentées comme difficiles et manipulatrices, le mot hystérie devenant « une blague ou une insulte » (Duncan 1889 : 973) ; la souffrante pubère atteinte de la « maladie des vierges » est souvent vue comme une patiente idéale, entièrement passive, contrôlée _comme Anna_ par ses parents et par le substitut de père du médecin.

La gêne sentie par ceux qui traitaient les patientes atteintes d'hystérie_ dans ce cas, une jeune fille de 14 ans_ apparaît clairement dans les mots du médecin du Kentucky AP Morgan Vance, qui écrit en 1908, un moment où la contracture « tirage vers le haut » du foie était un symptôme commun :

A ce moment-là, bien que seul, je commençais à ôter le pansement de plâtre. J’enlevais d’abord une section, puis toute la longueur et je le pressais dans le but de l’enlever. La fille pleurait « il va partir vers le haut, il va partir vers le haut » ; ce à quoi j’ai répondu très sévèrement tout en agitant mon poing devant sa figure « si il part vers le haut, je briserais ta petite nuque. Le membre ne céda pas, et l’enfant fut soignée. »

 (Vance 1908:763, cité chez Shorter 1986:578 n.51)

            La méthode de traitement de Vance, pour les patients hystériques de n’importe que âge ou genre, impliquait d’ôter le patient aux influences néfastes telles qu’une mère qui lui donnerait « tous les romans vulgaires qu’elle pourrait obtenir » (Vance 1908 : 763), cautériser avec un fer chauffé à blanc ou simplement menacer de brulures. Pendant que « de bonnes « insultes » étaient appliquées à tous les patients, sur l’idée que « les hystériques sont tous des tyrans » (1806 :757), une bonne fessée n’était appliquée qu’aux patientes de sexe féminin. Le plus fameux représentant de l’assertion d’autorité mentale et physique sur les patients atteints d’hystérie était Lewis Yealland (1918), qui combina ce qu’Elaine Showalter (1987 :175-7) appela son « manifeste d’utilisation du pouvoir et de l’autorité » avec des chocs électriques dont l’intensité augmentait. Malgré que, comme nous devrions le voir dans le chapitre 5, l’électricité était utilisée également comme traitement de la chlorosis, des filles d’âge similaire à la jeune patiente de Vance atteintes de « maladie des vierges » » ou chlorosis avaient tendance à susciter bien plus de sympathie dans la profession médicale.

            Comme l’hystérie, la chlorosis était classifiée comme une maladie genrée atteignant les femmes ; et, dans les deux cas, éloigner la maladie de la nécessité de l’utérus souleva l’enjeu de savoir si l’homme devait en souffrir. Un peu plus tard au dix-neuvième siècle, tandis que la catégorie de la chlorosis croissait, elle fut étendue pour embrasser non seulement la « chlorosis masculine (Siddall 1982 :225 mais également la « chlorosis tardive » ou « chlorosis tarda » (Stengel 1896 :351 ; Hudson 1977 :452). Parce que la chlorosis était associé à l'idée que les femmes étaient moins robustes que les hommes (Ashwell 1836 : 534), certains hommes étaient pensés comme étant suffisamment faibles pour être possiblement touchés et en souffrir (Hamilton 1805 : 94). Samuel Fox (1839), qui regarde la chlorosis non pas comme une conséquence de la fonction menstruelle, mais plutôt comme en désordre de vie, clame qu'elle pouvait aussi apparaître dans de jeunes et délicats hommes, Pendant que Samuel Ashwell (1836 : 534) discutait de la possibilité d'un genre de chlorosis chez les garçons délicats et faibles. Il est possible, cependant, d’arguer que cette nouvelle catégorie montre seulement qu’une souffrance caractéristique était toujours espérée chez les femmes et les pubères, la chlorosis restait essentiellement une maladie des femmes (Bramwell 1899 : 22 )

            Mais la passive, faible, innocente, belle, et souffrante victime de la « maladie des vierges » reste éloignée de la manipulatrice hystérique du 17e siècle. Robert Pierce, qui omet généralement les noms de ses patientes féminines à cause de la modestie de leur sexe fait une exception et nomme celles qui souffrent de maladies vertes parce que, expliquait-t ’il, leur maladie n'était pas dû à leur faute (1697 : 188-9). Alors qu'une fille atteinte d'hystérie pouvait être regardée comme ayant une sorte d'égoïste (Duncan 1889 : 973), apparaissant avec une gloire vaine, avec un sens de sa propre importance ... le sentiment évident qu'elle était une curiosité ou un sujet intéressant pour la profession médicale (Vence 1908 :973), les filles atteintes de chlorosis étaient considérées pour la plupart comme gentilles et inoffensives (Clark 1887 : 1004.)

            La « majeure partie » est, cependant, signifiante ici. Derrière cette préoccupation, même désirée, pour les souffrantes de la « maladie des vierges », il reste une sorte de vigilance et de distance. Certaines filles pouvaient parfois se comporter de manière étrange (Trousseau 1872 : 106), brusque ou manquer de respect (W Johnson 1849-2 :44- 5), où aimer excessivement se trouver dans « les ténèbres et la solitude » (Hamilton 1805 : 90). D'autres textes de la fin du dix-neuvième siècle suggèrent une manipulation plus consciente des observateurs de la chlorosis : le docteur Frederick Taylor (1869 : 720) décrit un amour de la couleur développé chez les filles atteintes de chlorosis, par exemple « Les malades de la chlorosis portent des rubans verts qui contrastent avec le rose » (Jones 1897 :28). Par-dessus tout, les médecins expriment la peur que leur patiente puisse ne pas pouvoir être entièrement honnête. Par exemple, les patientes de chlorosis semblaient manger très peu mais on soupçonnait qu’elles mangent en réalité plus que ce que les physiciens ne pouvaient voir. Aswhell avertit que la famille et les médecins sont occasionnellement trompés sur ce point (1836. ,5 141 ; italique dans l’originale)

            A travers son histoire, chez la plupart des auteurs médicaux le premier symptôme de cette pathologie reste l'absence de menstruations : un symptôme ambigu parce qu'il peut également signifier que cette jeune femme parfaitement obéissante a, en réalité, échappé au contrôle paternel et est tombée enceinte. Astruc (1743 : 83 - 4 ; 1760 et 12 . 150 -2) averti sur les mensonges des femmes : les vierges et les veuves qui tombent enceintes tentent d'expliquer leur pâleur par la suppression des menstruations. Au début de la médecine moderne, une absence de menstruation n'était pas considérée comme un signe de grossesse ; cela pouvait simplement indiquer que le sang s'était accumulé mais avait failli à venir ou à cause d'une certaine sorte de blocage. Cette absence de menstruation faisait, cependant, initier un intervalle dans certitudes qui était seulement clarifié par l'éventualité de l'apparence du son, ou par la sensation de coup de pied, sensation qui confirme la présence d'un enfant viable. Durant cet intervalle, les praticiens étaient avertis qu’un traitement contre la suppression des menstrues implique des risques. Jacques Dubois donne un récipient spécial dont il affirmait qu'il pouvait être utilisé de manière sécuritaire si une conception était suspectée ; si la femme était effectivement enceinte, alors cela se chaufferait et renforcerait le foetus, mais si elle n'avait pas conçu, alors cela déclencherait les menstruation (1559 : 182). La sage-femme du dix-neuvième siècle John Sharp avertit, après avoir listé les traitements pour la suppression des menstruations, de ne rien faire de ces choses avec une femme enceinte, car ce serait un meurtre.

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