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Le dernier druide

Nouvelle écrite pour l'association Pré-textes dans le cadre du concours de nouvelle organisé pour les caravanes du livre 2021

https://pre-textes.fr/

Mivia contemplait la roseraie. Perchée sur le sommet du ravin, elle admirait les reflets qu’envoyait le soleil brulant sur les feuilles argentées et les pétales d’or rose. C’était un jour particulièrement chaud, les cinq degrés qui se rajoutaient aux quarante degrés habituels rendaient l’atmosphère difficilement supportable, et Mivia trouvait le bassin au centre du cratère particulièrement attirant. Elle savait, pourtant, que cette eau était redoutablement toxique, mais il y avait en elle comme un instinct profondément enfui qui lui criait de s’y jeter. Après de longues minutes, la future druidesse se détourna de sa contemplation et pris le chemin de sa hutte, sa longue tresse bleue battant son dos au rythme de sa marche. Deux hommes l’attendaient devant la petite hutte de verre. Ils allèrent à sa rencontre.

« Bonjour Mivia.

-Bonjour docteurs.

-Nous avons trouvé un moyen de remplacer les organes défectueux de Charles. Nous pouvons enfin le réveiller. Nous attendrons votre accord et celui de votre mère pour le faire. 

Mivia sourit

-Bien, je la préviens, à bientôt.

-A bientôt »

            La jeune femme rentra dans la hutte. « Volets ! » ordonna-t-elle. La voute de verre se couvrit de plaques blanches. Elle s’effondra sur son canapé jaune, à côté du yucca, et caressa les reliefs de son tronc métallisé. Son aïeul avait eu un accident, à une autre époque. A ce moment-là, il existait bien une technologie pour le cryogéniser mais on ne savait toujours pas faire des poumons artificiels et encore moins remplacer les parties du cerveau qui avaient été atteintes par l’impact, aussi petites soient-elles. Elle savait qu’il avait subi une collision avec ce qu’on appelait à l’époque une « voiture », mais elle n’avait aucune idée de ce qu’était une voiture. On venait de découvrir une technologie de compensation cérébrale deux jours avant la visite des médecins, et elle espérait qu’elle permettrait de soigner son aïeul. En même temps, elle en avait très peur. Il allait arriver d’une époque qu’elle ne pouvait pas se représenter. Elle savait que les choses avaient changées très rapidement après le Grand Réchauffement. Comment allait-il réagir ? De plus, toutes les personnes qu’il connaissait étaient mortes. La gorge de Mivia se serra lorsqu’elle approcha son implant de sa bouche. « Téléphone. Appelle maman » ordonna-t-elle.

            Sa mère fut enchantée de la nouvelle et balaya les craintes de Mivia. Elle lui expliqua que la cryogénisation n’en était qu’à un stade expérimental lorsque Charles avait eu son accident et que ce dernier avait accepté la possibilité de se réveiller quatre générations plus tard, voire plus. Elle lui dit qu’elle s’occuperait d’appeler les médecins pour que le réveil ait lieu dès le lendemain.

            A la première heure, elles furent au centre médical.

           

Une douce chaleur envahi Charles petit à petit dans les ténèbres. Il sentait son corps flotter, immobile et en paix. Puis un de ses doigts bougea. Un deuxième. Toute sa chair se mit à dégeler pour revenir lentement à la vie.

            Il se réveilla allongé sur un brancard, deux femmes souriantes étaient penchées au-dessus de lui. L’une avait les cheveux blonds, très clairs, et coupés en carré lisse ; l’autre arborait une longue tresse d’un bleu corbeau qui lui descendait jusqu’au bas du dos. Cette dernière lança un « arrière-arrière papi ? Vous allez bien ? ».

            Quelques heures plus tard, il était assis sur le canapé de Mivia, contemplant l’étendue désertique qui l’entourait à travers le vitrage de la hutte. La jeune femme lui avait préparé un thé, mais ce dernier avait pour lui un gout étrange, métallique et bien trop sucré. Il ne pouvait pas savoir, alors, que le thé était devenu une denrée précieuse et bien différente de ce qu’il connaissait. Il avait de toutes manières du mal à le boire car il faisait trop chaud pour lui. Il transpirait à grosses gouttes. Il lui semblait que le soleil transperçait sa peau à travers la verrière. Il n’osait rien dire mais regardait et sentait tout avec curiosité.

 « Mivia, fermes les volets, demanda la femme la plus âgée ; le soleil de notre époque doit être insupportable pour ton aïeul.

-En effet. C’étaient les premiers mots que prononçait Charles depuis qu’il s’était réveillé. A quelle époque sommes-nous ?

-On est en 2192, répondit Mivia avec un sourire. Bienvenue chez nous.

-Et où sommes-nous ? Dans le Sud ? »

Mivia et sa mère se regardèrent d’un air consterné.

« Nous ne sommes pas riches, mais nous n’en sommes pas à ce point ; dirent-elles. Nous sommes en Normandie, dans le Nord donc. »

Il se leva d’un coup, surprit, ouvrit la porte et éclata en sanglots.

« Ça va ? Demanda Mivia. Qu’est-ce qui se passe papi ?

-Ne m’appelles pas comme ça ! hurla-t-il. Ça y est. Vous avez réussi. Vous avez tout ruiné. Vos générations pestiférées, vous avez tout tué. »

            Lorsqu’il se fut calmé, il se rassit et entama son récit.

« Désolée de t’avoir parlé sur ce ton, Mivia. Tu n’y es pour rien, tu es née dans son monde et tu n’as pas à porter sur tes épaules les actes de toutes les générations passées, et surtout pas ceux de ma génération et de celle de mes parents. Seulement, ça m’a fait un choc. Je vais te raconter mon époque, ensuite tu me diras qui tu es et tu me raconteras ce qu’il s’est passé exactement, même si j’ai déjà ma petite idée.

A mon époque, il y avait de grandes villes, mais aussi des étendues de verdure. La terre commençait à mourir, on le voyait bien. On épuisait ses ressources, on l’essorait comme une éponge. Certains d’entre nous voulaient la sauver, d’autres ne voulaient pas se priver de leur petit confort personnel. A vrai dire, le monde tel qu’il était eu surement provoqué sur mes ancêtres la même réaction que celle que j’ai eu ici. Je veux bien un verre d’eau Mivia, il fait trop chaud pour du thé à mon goût. »

Elle se leva pour le lui en rapporter un puis il reprit son récit

La Normandie était verdoyante, froide et humide. Il pleuvait presque tous les jours ici, été comme hiver. Il y avait partout de grands champs plats, tout était vert. J’habitais en Auvergne, dans la montagne. Malgré les actes des Hommes, la nature restait très présente. Imagine de grandes étendues de terre recouvertes de prairies et de forêts. Mon village était petit, les habitations étaient en pierres de taille, j’avais un jardin rempli de rosiers, de digitales et de lupins. Arrivé à l’âge adulte, je suis devenu druide. C’était une profession qui était en train de disparaitre à notre époque, plus grand monde ne croyait en la nature et en sa puissance mystique. J’ai lutté toute ma vie pour sauver le plus possible la terre. J’ai accepté d’être cryogénisé car je voulais savoir ce qui était finalement advenu, et je vois maintenant un désert en Normandie »

Après quelques instants de silence, Mivia lui répondit

« Papi ; moi aussi je suis druide

-druide dans ce monde ? lui répondit-il. Comment est-ce que cela se passe ?

-La profession n’a pas disparue, loin de là. C’est maintenant une profession très honorée, enseignée à l’université. Être druide c’est prestigieux socialement.

-Où sont les plantes restantes ? Demanda Charles avec une lueur d’espoir dans les yeux

-Eh bien regardes à côté de toi, il y a un yucca. On a des plantes partout, elles sont nécessaires à la vie. »

            Il écarquilla les yeux en regardant ce que désignait la jeune fille.

« Ce tas de métal, une plante ? demanda-t-il, ahuri

-Oh, c’est vrai ; réalisa Mivia. Les plantes ne ressemblaient pas à ça à ton époque. On en a des descriptions, mais je n’ai jamais vu d’anciennes plantes.

-Mivia, il n’existe pas d’anciennes ou de nouvelles plantes. Une plante c’est une plante C’est vert. C’est en matière organique pas en métal. Ça pousse dans de la terre. Et ça existait avant l’homme ce n’est pas fabriqué par lui. Comment est-ce que la terre peut encore perdurer sans plantes ? Comment est-ce que vous arrivez à vivre ? A respirer ? D’où vient la nourriture ?

-Les plantes de synthèse jouent le même rôle que les anciennes plantes. Notre rôle à nous, les druides, c’est de vérifier qu’elles fonctionnent bien. Elles sont vitales. Leur mécanique leur permet de filtrer l’air, de la même manière que le faisaient les autres plantes. Quant à la nourriture, c’est un mélange de protéines, glucides et vitamines synthétisées en laboratoire associée à des protéines animales d’élevage, dépendamment de la qualité on va de la vache à la sauterelle. Je n’ai jamais gouté de la vache, j’aimerais bien ça doit vraiment être meilleur.

-Mivia fais-moi un peu visiter ce drôle de monde »

            La jeune femme lui fit d’abord visiter le village et ses huttes de verre, tout en lui expliquant le Grand Réchauffement ; puis l’académie. Elle l’amena à la roseraie et lui expliqua la préciosité d’une telle construction. Il pleura à chaudes larmes, se souvenant des roses bien plus belles de son temps. Il annonça alors à Mivia qu’il n’allait pas rester : il reviendrait, mais il souhaitait d’abord revoir les lieux qu’il connaissait avant. Mivia lui donna un peu d’argent et lui proposa de s’occuper du transport, mais il refusa. Elle le mit en garde contre la chaleur qui ne manquerait pas d’être bien trop forte pour lui et qui croissait lorsque l’on descendait dans le Sud.

            Il n’avait pas d’affaires à prendre, il voyagerait tel un vagabond. Il se mit en route immédiatement. La chaleur l’assaillit dès les premières heures de son voyage, comme l’avait prédit Mivia. Il constata rapidement que l’eau coutait cher dans ce monde, et que l’argent que lui avait donné Mivia fondrait comme neige en ce monde s’il ne se rationnait pas. Son voyage était fait de larges étendues désertiques. Partout, il n’y avait que de la terre rouge et craquelée.

            Le premier jour de son voyage fut éreintant, la chaleur associée au manque d’habitude de marcher dû aux suites de sa cryogénisation l’épuisait. Mais par trois fois il eut la chance d’arriver dans un petit village, similaire à celui de Mivia, et il constata rapidement que les lieux où se restaurer n’avaient pas disparu dans ce nouveau monde hostile.

            Le début du voyage ne fut pourtant rien comparé à la suite. Mivia l’avait prévenu, plus on allait vers le Sud plus il faisait chaud. La terre devint encore plus sèche et plus rouge, et les huttes de verre laissèrent petit à petit place à des taudis de plastique blanc. Un jour, deux, trois, et toujours aucune pluie. Les villages se transformèrent en bidonville, les huttes étaient maintenant faites de détritus. Les quelques âmes que croisait Charles étaient de pauvres gens en guenilles déchirées au regard hagard et désespéré, courbés sur leur misère. Il comprenait maintenant la réaction de Mivia quand il avait parlé du Sud, la population semblait s’appauvrir de kilomètre en kilomètre. Mais alors à quoi pouvait ressembler la côte d’azur maintenant ? Et l’Afrique ?

La soif le prenait de plus en plus à la gorge, oppressante. C’était une sensation qu’il n’avait jamais connue, l’eau ne manquait pas là d’où il venait. Aussi, lorsqu’il aperçut un lac, il ne put s’empêcher de se précipiter dessus, un soulagement intérieur montant en lui. Alors qu’il s’y penchait au point que ses lèvres touchent presque l’eau, une voie s’éleva « recules, pauvre fou ». Il sursauta, releva la tête et vit un homme en guenilles, le visage marqué par la sécheresse. Il resta là, les bras ballants, sans savoir trop quoi faire. L’homme s’approcha de lui, une gourde en métal à la main.

« Tiens, tu dois avoir beaucoup trop soif pour te risquer à boire cette eau. Ne la vide pas »

Charles but quelques gorgées en s’efforçant de ne pas vider le contenu de la gourde d’un coup. Il se retourna alors et constata avec horreur que le lac était jonché de cadavres de poissons, seuls quelques-uns survivaient mais ils étaient apathiques, nageant lentement et tournant en rond. L’eau, qui lui semblait pure quelques minutes plus tôt avait une couleur jaune verdâtre.

« Qu’est-ce qui se passe avec ce lac ? demanda-t-il à l’homme. Il a l’air mal en point. »

Ce dernier le regarda curieusement.

« D’où est-ce que tu viens, pour que l’on puisse boire l’eau à même les lacs ? Demanda-t-il.

-Tu ne me croirais pas.

-Je croirais n’importe quoi si on me donnait l’espoir d’un univers moins pollué. On ne peut pas boire l’eau des lacs car elle est empoisonnée par la pollution, il faut d’abord la filtrer. Comment peux-tu l’ignorer ?

-C’est une longue histoire. Merci. » Répondit Charles avant de s’éloigner.

Son chemin continua sur de longues étendues désertiques. Il se dirigeait vers les forêts de son enfance, il savait qu’elles avaient disparues mais il voulait voire ce qui se trouvait à la place, même si ce n’était qu’un désert. Il traversa les montagnes, qui s’étaient transformées en dunes de terre rouge et craquelée. Il fut surpris de constater, à son arrivée, qu’il y avait là toujours une forêt. Seulement, c’était une forêt constituée de ces étranges plantes mécaniques. On avait tenté de reproduire la diversité des essences. C’était un travail finement ciselé. Du bronze, du fer, de l’or et des alliages permettaient de nuancer les feuillages.

            Charles s’engouffra dans ce labyrinthe de métal ambré. Une sensation apocalyptique le pris au ventre. Les racines de cuivre ne parvenaient pas à cacher la terre rouge. En revanche, l’ombre métallique atténuait les rayons du soleil, et la fraicheur relative présente sous ces étranges feuillages était bienvenue. Charles resta longtemps dans la forêt, non pas parce que cela lui plaisait mais pour profiter de la chaleur qui était bienvenue. Puis il reprit son chemin dans le désert vers une autre forêt. Une troisième. Une quatrième. Mais alors qu’à bout de forces, il rampait presque ; il aperçut quelque chose d’étonnant dans la cinquième forêt qu’il visita. Un petit trait vert sur le sol. Il s’approcha, n’osant pas croire trop vite ce qu’il voyait, mais c’était bien de cela qu’il s’agissait : un brin d’herbe. Il avait presque oublié ce à quoi ça ressemblait. Haletant d’espoir, il avança plus profondément dans la forêt. Il aperçut d’autres brins, d’abord isolés, puis parsemés entre les racines de métal. Les brins se rapprochaient petit à petit, laissant prédire qu’il ne tarderait pas à pouvoir enfoncer ses pieds dans un épais tapis vert. De la mousse semblait envahir les racines. Charles cru entendre un bruit d’eau sur des roches s’élever au loin, mais ce n’était peut-être qu’une illusion. Soudain, les arbres de métal s’espacèrent pour laisser place à une clairière. L’herbe était dense et parsemée de violettes, pâquerettes et pissenlits. Quelques plantes sauvages, un pommier, un églantier, un petit buis, poussaient en bordure de la clairière. Le bruit d’eau n’était pas une illusion, car au fond de la brèche verte, une petite cascade suivie de son ruisseau déversait un son cristallin. Et au milieu de la clairière, rayonnant, trônait un grand chêne centenaire.

            Il resta plusieurs jours dans ce cadre idyllique, se vautrant dans l’herbe, s’appuyant sur le chêne. Il se nourrissait de petites pommes sauvages, acides, et cela lui semblait être un délice, il n’avait pas touché à un fruit depuis son réveil. Il buvait allégrement l’eau pure du ruisseau, filtrée par les roches. Il chérit cet endroit, mais fini par émerger de son rêve éveillé. Il fallait qu’il en parle à Mivia. Ce lieu était symbole d’espoir pour l’intégralité du monde. Il cueilli une fleur d’églantier et dit au revoir à sa clairière.

            Il resta dormir à la lisière de la forêt de métal le soir, il savait que le retour à la chaleur serait difficile. Il mit la fleur d’églantier à sécher entre deux pierres plates. C’était presque un sacrilège de se servir ainsi dans la nature alors qu’il restait si peu, mais il tenait à rapporter la fleur à Mivia, d’abord pour prouver ses dires ; mais aussi parce que la jeune fille adorait les roses et il voulait lui montrer leur origine. Le chemin du retour serait long.

 

            Mivia contemplait le jeune chêne nouvellement planté dans le sanctuaire, sa longue tresse lui tombant dans le dos et un sourire nostalgique naissant sur son visage marqué par l’âge. Elle se souvenait avoir attendu son ancêtre de longs mois, pensant qu’il ne reviendrait jamais. Mais il était revenu, en lui ramenant le plus beau des cadeaux. Elle gardait précieusement la fleur d’églantier sous verre dans sa chambre. Dès les premiers jours, après qu’elle eu parlé au conseil des druides, des recherches furent menées à travers le monde. L’humanité dans son ensemble avait participé. On décela le moindre brin d’herbe et le plus petit noisetier. Grâce à eux, on put faire pousser d’autres plantes. Sous l’impulsion de Charles, des sanctuaires furent construits. Ils devaient s’élargir petit à petit, et on découvrit que la nature reprenait rapidement sa place si on travaillait avec elle. Ainsi, Mivia et toute sa génération purent découvrir une merveille qu’ils n’imaginaient même pas. Elle fit bouger ses pieds nus dans l’épais tapis d’herbe, chérissant cette sensation. Elle prit une grande inspiration, appréciant la fraicheur du lieu. Une glycine tombait en grosses grappes de son grillage. Une vigne s’enlaçait autour d’un hêtre. Le rosier qu’elle avait planté quelques années plus tôt était chargé de grosses fleurs d’un rouge intense. Elle posa ses yeux sur chaque partie de ce petit paradis, et se détourna à regret de la tombe de son célèbre ancêtre.

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