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Paternalisme médical; contraception et avortement: le geste et la parole

Exposé réalisé dans le cadre du cours d'Ali Benmaklouf sur la science et l'éthique du scientifique 

La gynécologie et l’obstétrique sont des points clés de la vie des femmes. C’est la médecine qui est supposé leur permettre de vivre leur sexualité de manière libre et sécuritaire. C’est ce qui est supposé leur permettre de disposer de leur corps, d’en avoir le contrôle. C’est un point nécessaire de l’égalité entre les sexes. Le gynécologue, c’est par exemple celui qui informe sur les différentes méthodes de contraception et en prescrit une. C’est celui qui conseille face aux pathologies spécifiques au corps de la femme. C’est celui qui protège, par une médecine spécialisée, le corps de la femme. C’est également celui qui accompagne lors d’une démarche abortive.

La patiente qui choisit de procéder à une IVG n’est pas une patiente classique: là où le médecin est habituellement le prescripteur, c’est alors elle qui joue ce rôle. C’est elle qui choisit d’avorter. La femme a alors la pleine responsabilité de son corps. Pourtant, de nombreux praticiens restent paternalistes face à ces patientes. Le paternalisme médical, c’est le fait de considérer qu’au nom de la mission du médecin, le consentement du patient n’est pas une donnée médicale et qu’il ne faut donc pas le prendre en compte. C’est penser  que le patient n’est pas apte à savoir ce qui est le mieux pour lui, qu’il ne peut pas calculer sa propre balance coût/bénéfice. Dans tout ce qui concerne spécifiquement la femme, ce paternalisme s’accompagne généralement d’une forme de machisme se traduisant par une infantilisation et une considération de la fertilité comme nécessaire. Les représentations sociales du corps de la femme influencent encore une partie des praticiens en gynécologie en France, de la contraception à l’avortement en passant par les pratiques d’examens ou les maladies gynécologiques. La pratique de l’avortement est encore moralisée et marginalisée. Pourtant, les femmes ayant recours à l’IVG sont loin d’être en marge de la norme: on estime que 40% des femmes auront recours à l’IVG au cours de leur vie. Selon l’INED[1], on comptabilise 0,51 avortements par femme en 2016, soit un peu plus de la moitié de la population. Malgré ce chiffre, les patientes sont régulièrement infantilisées. La faute est portée par la femme qui, pas assez responsable, aurait mal utilisé sa contraception. Si une partie des avortements sont effectivement le résultat d’une prescription contraceptive non suivie, de multiples facteurs s’y ajoutent. On peut observer en France une norme contraceptive souvent imposée aux femmes et qui ne répond pas nécessairement à leurs besoins et à leur mode de vie. Notre première partie portera sur les contraceptions manquées et les mauvaises réponses contraceptives apportées à certaines femmes. Il est en effet nécessaire, pour comprendre l’avortement et analyser les pratiques qui s’y rapportent, de comprendre le parcours contraceptif. Notre seconde partie portera sur la pratique de l’IVG en elle-même et la place donnée au corps et au choix des femmes dans ce contexte.

 

 

                     I.        La contraception en France: normes, contraceptions manquées et mauvaises réponses contraceptives

 

I.1 Une norme contraceptive française figée

 

         L’IVG est avant tout le résultat d’une contraception qui a échoué. Le modèle contraceptif français est cadré selon les âges de la vie: les jeunes femmes qui débutent leur vie sexuelle utilisent en général d’abord le préservatif, puis la pilule lorsque leurs relations se stabilisent. Le DIU[2] est généralement utilisé par les femmes ayant eu le nombre d’enfants désirés. Ce modèle reste figé depuis plusieurs dizaines d’années. Il est spécifique à la France: aux Etats-Unis, par exemple, on observe assez fréquemment des stérilisations alors qu’elles sont très marginales et difficiles d’accès en France. En France, seulement 3% des femmes qui n’ont pas de désir de grossesse n’utilisent pas de contraception: ce ne sont donc pas les quelques avortements qui en résultent qui expliquent le pourcentage d’avortement. 82% des femmes n’ayant pas de désir de grossesse utilisent le la pilule ou le DIU.

72% des IVG sont réalisées sur des femmes qui sont sous contraception. Nous pouvons alors légitimement penser que c’est le modèle contraceptif qui doit être remis en cause. Dans 42% des cas, la contraception utilisée est une méthode médicale théoriquement très efficace. La pilule, par exemple, est théoriquement efficace à plus de 99%. Mais il s’agit d’un cachet hormonal, à prendre quotidiennement et à heure fixe. C’est une méthode de plus en plus perçue par les femmes comme contraignante et qui est la cause de nombreux échecs de contraception. Pour des femmes qui ont tendance à ne pas être rigoureuses dans leurs prises de prescription, ou qui voyagent beaucoup, ou qui ont un emploi du temps chargé qui ne leur permet pas nécessairement de prendre leur pilule discrètement en temps et en heure (avec des réunions par exemple), cette méthode n’est certainement pas la plus adaptée. Pourtant, elle continue à être prescrite parfois alors même que la patiente a notifié de ces problèmes, et sans proposer d’alternatives telles que le DIU ou l’implant. L’implant est un dispositif placé dans le bras de la patiente. Il diffuse des hormones qui bloquent l’ovulation. Cette méthode est théoriquement légèrement moins efficace que la pilule, mais en pratique elle l’est beaucoup plus. En effet, l’implant une fois posé la femme peut l’oublier pendant trois ans. Elle doit ensuite le changer. Pour les catégories de femmes citées plus haut, cette méthode semble effectivement plus adaptée. Le DIU, quand à lui, est posé à l’intérieur de l’utérus. Il existe deux types de DIU: un qui diffuse des hormones, et un en cuivre qui rend les spermatozoïdes inactifs. Le DIU est fonctionnel pendant 5 ans au minimum. Le DIU au cuivre est moins efficace que l’implant ou que le DIU hormonal, mais il présente un énorme avantage: celui de pouvoir être prescrit aux femmes qui ne peuvent pas prendre d’hormones (ce qui est le cas pour les femmes ayant eu une thrombose par exemple).

 

I.2 L’exemple du DIU: réalités et légendes urbaines sur une contraception difficile d’accès

 

 

         Le DIU est certainement la méthode contraceptive la plus sûre en pratique, même si ce n’est pas le cas pour les chiffres théoriques. Sa durée de vie longue en fait une méthode peu contraignante une fois posé. Il présente, comme toutes les méthodes de contraception, quelques inconvénients: tout d’abord le fait de poser un dispositif à l’intérieur de l’utérus peut rebuter certaines femmes. Le même type problème se présente avec l’implant, qui doit être retiré par une légère incision sur le bras, ce qui inquiète certaines femmes (bien que pour une méthode comme pour l’autre, la pause et le retrait sont supposés être indolores ou provoquer une faible douleur). L’autre problème posé par le DIU est relatif aux menstruations: le DIU au cuivre peut les allonger, la différence étant imperceptibles pour les femmes ayant des menstruations courtes, mais pouvant être problématique pour des femmes qui sont victimes de certaines pathologies telles que l’endométriose. Le DIU hormonal présente les mêmes problèmes que la pilule ou l’implant: troubles menstruels (augmentation ou disparition des menstrues par exemple), prise de poids ou encore problèmes de peau (acné). Le DIU au cuivre, cependant, peut être une réponse pour les femmes méfiantes envers les contraceptions hormonales qui sont de plus en plus polémiques. Enfin, certaines patiente ont rapporté sentir une gêne lors des rapports une fois leur DIU posé. En ce qui concerne cette gêne et la douleur ressentie par certaines lors de la pause du dispositif, cela vient d’une mauvaise exécution par le praticien et n’est pas censé se produire.

Malgré ses avantages et les réponses qu’il peut apporter à deux types de femmes pour lesquelles les contraceptions hormonales sont exclues (celles ayant eu des pathologies excluant ces contraceptions et celles se méfiant des contraceptions hormonales), le DIU reste difficile d’accès aux femmes nullipares. Son nom, trompeur, de stérilet, a ancré dans la croyance populaire mais aussi dans celle des praticiens que ce dispositif rendait stérile. C’est pour cela que nous préférons dorénavant l’utilisation du terme DIU, peut-être moins clair si l’on n’est pas renseigné sur la contraception mais ne portant pas à confusion. Dans cette première partie sur la contraception, nous nous focalisons sur le DIU car il est le plus représentatif du paternalisme existant en termes de contraception. Bien que l’implant soit quelquefois refusé aux femmes informées et choisissant de s’en faire poser un de manière totalement libre et éclairée, les refus le concernant sont bien moins fréquents que ceux concernant la pose de DIU aux nullipares.

Il est dorénavant connu que le stérilet ne rend pas stérile. Il s’agit d’une contraception à long terme qui peut être posée à des femmes qui envisagent potentiellement une grossesse mais dans un futur assez lointain. Si elles désirent tomber enceinte pendant la période de validité de cinq ans qui suit la pose de leur DIU, elles peuvent tout simplement se le faire retirer et retrouvent rapidement leur fécondité. Pourtant, les femmes nullipares demandant un DIU se le voient très souvent refuser car, selon le praticien consulté, cela peut rendre stérile. A tel point que le site Gyn&Co[3] (site internet répertoriant les praticiens ayant une approche plutôt féministe de la gynécologie) répertorie les praticiens favorables à la pose de DIU aux nullipares. Trois problèmes se posent alors d’un point de vue de la relation médecin-patient. Tout d’abord, le médecin donne ici des informations qui ne sont pas à jour. Cela peut résulter d’un problème de formation du praticien s’il est jeune, mais les jeunes praticiens sont plus ouverts au DIU que les praticiens de longue date. Cela peut aussi résulter d’un manque d’autoformation de la part du praticien: les recherches scientifiques évoluant en permanence, le praticien doit se tenir au courant de ces dernières afin de ne pas donner des informations obsolètes. Si des politiques publiques concernant la contraception existent, le médecin reste l’interlocuteur privilégié et le plus crédible pour la majorité des personnes. Le patient qui va vers un praticien a confiance en lui et en son expertise. Cette confiance est importante dans la relation médecin-patient car c’est cela qui encourage le patient à écouter les conseils de son praticien et à suivre ses prescriptions. Or, dès lors que le patient apprend que son praticien lui a donné une information fausse, cette confiance est rompue. Entre les politiques publiques d’information à propos de la contraception et internet, les patientes ont dorénavant les moyens de se renseigner sur la contraception. Si internet peut être un outil trompeur, des efforts sont faits à l’heure actuelle pour y diffuser des informations fiables. Le site Choisirsacontraception.fr[4] par exemple propose un référencement exhaustif de toutes les contraceptions possibles même marginales et des fiches récapitulatives présentant le type de contraception, l’utilisation, ses avantages, ses inconvénients, son efficacité. Les informations qui y sont données sont fiables. L’accessibilité de ces informations permet aux femmes de mieux connaître leur corps et les options contraceptives qui s’offrent à elles. Ainsi, de plus en plus de femme savent que le DIU n’amène pas plus de risque de stérilité que les autres méthodes contraceptives. On observe, ces dernières années, une chute de la confiance du public envers les médecins et cela est particulièrement marqué dans le domaine de la gynécologie et de l'obstétrique. C’est pour cela qu’autant d’initiatives se sont observées dans ces domaines, telles que des manifestations, l’ouverture de sites internet, des articles dans des journaux grand public ou dans des revues scientifiques, des ouvrages écrits sur ce thème réunissant des témoignages (le livre noir de la gynécologie ou le livre noir de l’avortement par exemple) et une augmentation des recherches principalement accessibles en ligne. Mais c’est aussi cela qui crée cette défiance envers les médecins. La méfiance alimente ces initiatives qui elles-mêmes alimentent cette méfiance. Il est difficile de dire si il s’agit là d’un cercle vicieux ou vertueux: d’un côté le praticien dispose bien évidemment d’un certain savoir qu’il est essentiel d’écouter, et information rime avec désinformation. Les problèmes provoqués par ces nouveaux mécanismes sont observables, par exemple, dans le mouvement anti vaccins. D’un autre côté, cela permet aussi aux patients de se protéger des abus. Dans le cadre de la gynécologie et de l’obstétrique, de telles structures étaient essentielles.

Un autre problème que l’on peut pointer du doigt en parlant de la difficulté d’accès au DIU pour les nullipares, c’est que le médecin se pose ici comme détenant un savoir absolu et incontestable. En règle générale, et malgré les recommandations de l’OMS, la pilule est le moyen de contraception proposé aux femmes nullipares et ce très souvent sans que le praticien n’expose les autres possibilités de contraception. Il y a donc tout d’abord un problème d’information: le praticien considère que c’est là le meilleur moyen de contraception et l’impose. La contraception est avant tout l’affaire de la patiente: si certaines sont contre-indiquées, elle est néanmoins la plus à même de savoir quelle contraception correspond le plus à son mode de vie. La prescription de la contraception devrait, selon le modèle BERCER de l’OMS, donner lieu à une consultation dédiée dans laquelle le médecin exposerait à la patiente tous les moyens de contraception, leurs avantages et leurs inconvénients. La prescription devrait alors résulter d’une discussion entre la patiente qui sait, par exemple, si elle sera rigoureuse dans sa prise de pilule, si elle sera capable de supporter l’intrusion d’un DIU, ou encore si elle sera capable de supporter l’incision pour le retrait de l’implant; et le praticien qui sait si la contraception peut être dangereuse pour la patiente en fonction de ses possibles pathologies et de son style de vie (problèmes cardiaques ou de circulation sanguine, patiente fumeuse, patiente atteinte d’obésité…). Dans la réalité des faits, le praticien pense encore trop souvent mieux connaître que la femme ce qui lui correspond alors que, dans le cas particulier de la contraception, les deux sont sur un pied d’égalité. Les femmes qui viennent consulter avec une demande de contraception particulière se sont souvent informées sur cette demande. Dans le cas du DIU, de nombreux praticiens le refusent à des patientes informées en leur donnant comme raison qu’il existe des risques de stérilité induit par l’utilisation de ce dispositif. Beaucoup de patiente nullipares demandant ce dispositif sont renseignées et savent que le risque de stérilité lié au DIU est fictif. D’autres pensent tout simplement qu’elles ne voudront pas d’enfants de toutes manières.

Cela nous amène au dernier point mis en surbrillance par le problème du DIU: l’obligation de désirer et d’avoir un enfant qu’elles auront porté pour les femmes en France. Il y a, en France, un devoir de maternité. Même si beaucoup de praticiens pensent encore que le DIU apporte un risque de stérilité, une fois qu’ils en ont averti leur patiente le choix devrait être entre les mains de cette dernière. Or, les patientes ne désirant pas d’enfant sont très souvent jugées comme n’étant pas pleinement conscientes et on leur refuse la pose de stérilet malgré leur non-désir de maternité. C’est pour cette raison que le DIU est si difficile à obtenir pour les femmes nullipares. L’accès à la stérilisation est encore plus complexe, presque impossible. Alors qu’aux Etats-Unis cette méthode de contraception radicale est courante, en France elle est presque inconnue et pratiquement systématiquement refusée bien que légale. La fertilité est considérée comme un don, et l’absence de désir d’enfants comme passager ou pathologique. L’injonction sociale d’avoir des enfants et l’idée de l’instinct maternel se sont transplantés dans le monde de la médecine, condamnant les nullipares à batailler pour obtenir le moyen de contraception qu’elles désirent ou à se résigner à un autre moyen, alors même que rien ne prouve l’existence d’un “instinct maternel”.

 

 

II. Les problèmes rencontrés lors de l’IVG

 

II.1. L’IVG: un parcours pas toujours simple 

 

         Si la réponse contraceptive ne correspond pas à la patiente, le risque est bien entendu une grossesse non prévue. La femme concernée peut alors choisir soit de garder l’enfant, soit de procéder à une IVG[5]. L’accès à l’IVG en France est légal jusqu’à trois mois d'aménorrhée. Légalité ne signifiant pas nécessairement simplicité, le parcours d’accès à l’IVG reste complexe. L’IVG est le vilain petit canard des services hospitaliers. Pourtant, elle concerne près d’une femme sur deux. Elle est une composante structurelle de la vie sexuelle et devrait être prise en charge en tant que telle. Bien que tous les hôpitaux soient supposés devoir proposer ce service, dans les faits tous ne le proposent pas et lorsqu’il est proposé il est souvent soumis à de très long délais, c’est ainsi que certaines femmes vont avorter à l’étranger car la complexité du parcours leur a fait dépasser le délai légal français. Le service est financièrement déficitaire pour les hôpitaux et peu valorisant pour le personnel, ce qui explique en partie sa difficulté d’accès. L’IVG est souvent prise en charge par des médecins militants ou de jeunes praticiens hospitaliers non titulaires. Il est mal enseigné au sein des cursus de médecine. D’autres difficultés s’ajoutent à cela, comme par exemple le délai de réflexion imposé d’une semaine; obligatoire jusqu’en 2016 il continue à être pratiqué[6]. Il demande un premier rendez-vous de consultation à l’hôpital avant que soit effectuée l’opération en elle-même.

Il existe une clause de conscience relative à l’IVG. Un praticien a le droit de refuser de pratiquer l’opération, mais il doit alors diriger la patiente vers un collègue. Cela peut bien entendu allonger encore plus les délais d’accès à l’opération.

En termes de choix de la méthode par la femme, 10% des femmes ne sont pas consultées sur la méthode qui leur convient le mieux. Une partie des femmes n’ont pas, pour des questions de délais, d’autre choix que la méthode chirurgicale alors que d’autres se voient imposer la méthode médicamenteuse car celle-ci est jugée moins invasive. Il est vrai que la méthode médicamenteuse est bien moins invasive, et les délais devraient permettre de la choisir. Mais cette méthode impose cependant à la patiente des saignements et des douleurs importantes, ainsi que parfois la vue de l’ovule expulsée, tandis que la méthode chirurgicale se fait sous anesthésie. Selon les priorités des femmes, la méthode utilisée devrait être choisie par elles, car dans un cas comme dans l’autre les inconvénients sont importants et subjectifs.

 

 

II.2 Infantilisation et violences morales lors de l’IVG

 

         Une sorte de morale de la connaissance est imposée aux femmes qui ont recours à l’IVG. Si certains membres du circuit s’abstiennent de commenter l’état et la décision de la femme concernée, d’autres ne s’en privent pas. Bien souvent, la faute est mise sur la femme: ce serait elle qui aurait mal utilisé sa contraception, faute de rigueur ou de connaissance qu’elle aurait dû acquérir à ce sujet. La patiente se trouve alors infantilisée, car sa capacité à être responsable d’elle-même et de sa contraception est remise en cause. Les patientes qui recourent à une IVG ont souvent une part de responsabilité en effet, puisque l’efficacité théorique des contraceptions est très élevée. Cependant elle n’est généralement pas la seule à porter cette responsabilité, loin s’en faut. Nous avons parlé en première partie des échecs contraceptifs et du manque de dialogue entre les femmes et les praticiens, duquel résultent de mauvaises réponses contraceptives et des échecs de contraception. Une femme qui a oublié de prendre sa pilule par exemple, et qui n’aura pas pris de contraception d’urgence (comme la pilule du lendemain) sera effectivement responsable de cet oubli. Mais est-ce réellement elle qui, dans un premier temps, aura choisi ce moyen de contraception de plus en plus considéré comme contraignant? Était-elle avisée des risques d’un oubli? Et le partenaire de cette femme se sera-t-il avisé de savoir si oui ou non elle a pensé à cette contraception? Utilise-t’il lui-même une contraception? La femme concernée a-t-elle bien été informée des différents moyens de contraception desquels elle pouvait disposer soit par son praticien soit au sein de l’espace publique? Était-elle avisée de l’existence d’une contraception d’urgence, de ce que cette dernière comporte de risque, d’où se la procurer et à quel prix? Ces questions nous permettent de constater que la responsabilité est loin d’appartenir à la femme seule.

Si de nombreuses informations circulent sur la contraception, certaines de ces informations sont erronées. Ainsi, de nombreuses femmes pensent que l’oubli d’une pilule alors qu’elles l’ont toujours prise régulièrement n’induit pas de risque de grossesse. De même, l’information sur la contraception d’urgence n’est pas assez développée. Il est inutile et infantilisant de sermonner les femmes sur leur manque de connaissance face à leur contraception. C’est en priorité à l’espace publique (infirmières scolaires, planning familial, sites internet gouvernementaux…) et aux praticiens de s’assurer des connaissances des patientes en leur donnant des informations exactes, justes et impartiales.

On observe lors de l’IVG un déni des difficultés rencontrées par les femmes pour mettre en oeuvre une contraception efficace tout au long de leur vie et en fonction des modifications de leur vie amoureuse, professionnelle, familiale et de leur mode de vie. La vie affective et sexuelle étant de plus en plus diversifiée, les modes de contraception doivent s’y adapter. Ce déni renvoie les femmes à une certaine irresponsabilité dans leur capacité à utiliser une contraception sans connaître  d’échec

Reprocher aux femmes de ne pas être responsable face à elles-mêmes lors d’une IVG est assez paradoxal. En effet, la patiente est alors également la prescriptrice. C’est un acte médical prescrit par la patiente et non par le médecin. La loi elle-même pose la femme comme seule capable d’évaluer sa situation. L’avortement est en effet légal si la femme se trouve en situation de détresse. Or, c’est à elle qu’il revient d’évaluer cette situation de détresse.

Une autre violence morale est infligée aux femmes qui ont recours à l’IVG. Il ne semble en effet pas socialement acceptable que cet acte médical puisse laisser une femme indemne. Pourtant, cet aspect psychologique est fortement contredit par plusieurs études scientifiques. Cela également est révélé par  les difficultés de parcours rencontrées tout au long du processus de l’avortement, c’est une certaine conception sociale du corps de la femme. Dans la société française, la norme familiale et celle de l’instinct maternel est très forte.  Dans les représentations sociales, une femme qui n’a pas d’enfant ne s’est pas totalement réalisée. Un enfant est considéré comme l’aboutissement d’une vie féminine, plus qu’une carrière ou qu’une relation amoureuse longue et épanouie par exemple. 68 % des femmes et 62 % des hommes considèrent qu’une femme ne peut pas vraiment réussir sa vie si elle n’a pas eu d’enfant, mais 49 % des femmes et 54 % des hommes considèrent qu’un homme ne peut pas vraiment réussir sa vie sans enfant (CSF 2006). Le désir d’enfant, naturel et universel dans l’imaginaire populaire, l’est encore plus pour lorsqu’il concerne la  femme. Or; si il est difficile d’analyser dans quelle proportion le désir d’enfant est naturel et dans quel proportion il est culturel, il est plus aisé de critiquer l’idée que les femmes ont naturellement plus le désir d’enfanter que les hommes. La catégorisation homme/femme obligatoire suppose la procréation obligatoire. L’idée de la femme-matrice, qui doit procréer pour assurer la perpétuation de l’espèce, est particulièrement critiqué dans la théorie du genre. L’idée de se sentir femme est très liée à celle de se sentir mère. A contrario, cette idée sert également à illégitimer la volonté d’avoir des enfants dans les couples homosexuels. L’idée de la maternité comme désir naturel et celle de l’homosexualité comme phénomène contre-nature sont très liées. L’un sert à argumenter pour l’autre et vice-versa. Cette argumentation est celle utilisée par les militants de la manif pour tous. Les femmes et les hommes homosexuels ne peuvent se reproduire naturellement avec l’être aimé, alors même que le désir d’enfant est supposé naturel. Dans un couple homosexuel il serait alors honteux de désirer un enfant, d’autant plus que cet enfant n’aurait pas un père et une mère. En réponse à cela, nous pouvons nous questionner sur les véritables motivations du désir d’enfant. N’est-ce pas plus l’envie de partager sa vie avec un être avec lequel on peut partager (ses passions, ses savoirs, son mode de vie par exemple) qu’un désir naturel qui motive la parentalité? Dans ce cas, d’autres motivations peuvent légitimement être prioritaires dans les couples hétérosexuels, et les couple homosexuels sont en droit d’avoir également cette envie. La norme procréative est à repenser. Dans le cas de la contraception, cette norme est visible à travers le refus manifeste de la part de nombreux praticiens de faire bénéficier une femme nullipare du DIU, et des difficultés d’accès à une contraception définitive. Dans le cas de l’avortement, cela est visible à travers l'infantilisante et parfois la pathologisation des femmes ayant recours à l’IVG. Le corps de la femme est ainsi objectivisé, transformé en corps nécessairement procréant que ce soit en puissance ou en acte. Cette norme s’observe également à travers l’injonction pour les femmes qui ont recours à l’avortement de ressentir des douleurs psychologique. Si les femmes qui ont eu recours à l’avortement présentent, dans certaines études, plus de troubles psychiques que celles qui ont poursuivi une grossesse initialement non prévue, cet écart était déjà enregistré avant le recours à l’avortement et ne saurait donc lui être imputé. Paradoxalement, le refus d’IVG de la part de la femme peut également être considéré comme moralement réprouvable: en plus de la norme de la maternité, on observe une norme familiale. L’enfant doit naître dans le cadre d’un couple ou le père et la mère sont engagés dans une relation stable et ont les moyens financiers d’assumer leurs enfants. Les parents ne doivent être ni trop jeunes, ni trop âgés. Si le cadre est effectivement important pour assurer le bonheur d’un enfant, ces critères peuvent être remis en question. Une femme seule ne peut-elle pas assurer le bonheur de son enfant? Si un minimum d’aisance financière est nécessaire, doit on néanmoins considérer que les couples proches de la précarité ne sont pas légitimes dans leur projet parental? La définition d’un cadre fixe et stricte pour “la bonne parentalité” est extrêmement complexe.

         Le principal problème rencontré par les femmes lors des parcours abortifs est celui des violences morales. Si l’IVG est considérée comme traumatisante, on peut se questionner sur ce qui crée ce traumatisme. Est-ce réellement l’IVG en elle-même où les pratiques qui y sont associées? L’infantilisation, la moralisation, le fait que la patiente ne puisse pas toujours choisir ce qui lui convient le mieux sont certainement des causes de traumatismes psychologiques. D’abord parce qu’il y a culpabilisation, mais également parce que la femme n’a alors pas réellement le contrôle de son propre corps. Elle appartient, en quelque sorte, à quelqu’un et à quelque chose d’autre: au praticien et à la médecine.

 

 

      Conclusion

 

         Malgré les nombreux progrès acquis, les femmes n’ont toujours pas la parfaite maîtrise de leur corps. Si elles peuvent faire valoir leur droit juridiquement, une sorte de système juridique parallèle s’est développé au sein des institutions médicales. Elles ont le droit d’obtenir la contraception qu’elles désirent, avec ou sans enfants, mais doivent néanmoins batailler pour en obtenir certaines. Elles ont le droit de recourir ou non à l’IVG, mais ces parcours sont encore trop soumis à des leçons de morale et à des maltraitances physiques ou psychologiques.

La gynécologie et l’obstétrique, supposées être protectrices, se transforment alors en instances avilissantes. Soit par excès de désir de protection, soit par une sorte de moral du bien commun. Excès de désir de protection lorsque la femme se voit imposer une méthode de contraception au lieu d’une autre par exemple; morale du bien commun lorsqu’on essaye d’imposer un renoncement à l’IVG ou au contraire une IVG par exemple. Le corps n’appartient alors plus à l’individu, mais est remis entre les mains d’une instance.

 

 

 

 

Bibliographie

 

Livres

 

BUTLER Judith; Trouble dans le genre; Paris; La découverte; 2005

 

CHAMAYOU Grégoire; Les corps vils; Paris; la découverte; 2008

 

FOUCAULT Michel; Histoire de la sexualité I la volonté de savoir; Mayenne; 1995

 

FOUCAULT Michel; Histoire de la sexualité II l’usage des plaisirs; Mesnil-sur-l’Estrée; 2012

 

 

Ressources en ligne

 

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         Collège National Des Gynécologues et Obstétriciens Français ; Interruption volontaire de grossesse (IVG) ; [online] <http://www.cngof.fr/component/rsfiles/apercu?path=Clinique/info%20patientes/cngof_info_17-IVG_.pdf> ; 2002 révisé en 2017 ; [Cons.] 21/08/2018

 

CRESSON Geneviève; Les hommes et l’IVG; [Online] <https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2006-1-page-65.htm >; Cairn; 2006; [Cons.] 09/07/2018

 

         FAGOT-LARGEAULT Anne; [Entretien]. Un regard de philosophe sur le statut de l’embryon et de l’interruption volontaire de grossesse;  [in]  Revue française des affaires sociales; La documentation française; 2011; [online] <https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-61.htm>; [cons.] 21/08/2018

 

         INED; Avortements Evolution du nombre d’avortements et des indices annuels [en ligne]; https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/avortements-contraception/avortements/; [cons 29 juin 2018]

 

JAUNAIT Alexandre; Comment peut-on être paternaliste ? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient; [in] Raisons politiques; Presses de science Po; 2003; [online] <https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2003-3-page-59.htm> ; [cons.] 11/08/2018

 

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         WINCLER Martin; La pause d’un DIU est-elle toujours douloureuse?; [Online] <https://www.martinwinckler.com/spip.php?article472>; Winclker’s Webzine; 2005; [Cons. 29/09/2018]

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