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Histoire et épistémologie du geste gynécologique

Mémoire de Master 2 sous la direction de Roberto Poma 

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L’Histoire de la gynécologie est large, c’est une partie de l’Histoire de la médecine, de l’Histoire sociale et de l’Histoire normative. Mais c’est avant tout les histoires de nombreuses femmes, patientes et médecins à travers les siècles ; qui ont vécu, subi, contrôlé des corps. L’Histoire de la médecine en elle-même est liée à une histoire normative, et dans le cas de la gynécologie ; cela concerne les normes auxquelles devaient se plier les femmes. Le geste gynécologique peut et devrait être un geste de soin ; mais il ne l’est pas nécessairement. Il peut également être un geste d’étude ou un geste normatif. Etudier le geste gynécologique suppose d’étudier sa fonction. Geste essentiellement féminin jusqu’au XIXème siècle, il devient masculin à la suite de l’attribution de la gynécologie et de l’obstétrique par les hommes. Si les soignantes et accoucheuses connaissent le besoin des femmes par le vécu qu’elles ont de leur propre corps ; les médecins du XIXème siècle arrivent sur une sorte de terre incognita et vont ressentir le besoin d’étudier l’organe féminin pour le comprendre. Il s’agit alors de comprendre l’être féminin en tant qu’autre.

 Mais cette médecine des hommes ne va pas porter sur la compréhension de la femme en elle-même, mais plutôt sur le rôle que l’on attend d’elle ; lui appliquant des normes genrées de reproduction et de sexualité à l’instar de l’expression d’Hippocrate tota mulier in utero[1].

D’ailleurs, parler de gynécologie avant le XIXème siècle serait en fait anachronique. S’il existe bien une forme de médecine des femmes avant, elle ne porte pas encore de nom. Elle se fait par des femmes qui ont une certaine expérience, mais pas de diplômes ni d’études. Elle repose sur le savoir ressenti du corps et sur l’habitude, l’expérience.

Le corps féminin comme objet sexué justifie la définition d’une science nouvelle au XIXe siècle, la gynécologie. L’obstétrique et le suivi de la grossesse et de l’accouchement sont également profondément médicalisés et technicisés au cours du XXe siècle.[2]

            C’est lorsque les hommes s’attribuent cette partie de la vie des femmes en la faisant entrer dans le monde académique qu’on lui donne le nom de gynécologie ; formé du grec γ υ ν α ι κ ο ; qui signifie l’appartenance à la femme ; et de l’élément logie qui fait référence à une doctrine, à un ensemble de savoirs. La gynécologie est donc la médecine qui traite des maladies de la femme en général, et ce serait encore faux de résumer cela à l’utérus. Si ce raccourcis est bien souvent fait au XIXème siècle, l’hystérie y fait un semblant d’exception. Cette pathologie réfutée de nos jours est en effet considérée comme une maladie mentale, mais qui viendrait d’un disfonctionnement de l’utérus ; on rapporte finalement tout ; chez la femme ; à l’utérus.

Quant à l’obstétrique, le terme se rapproche du latin obstetrix.icis ; soit la sage-femme. Il englobe les techniques qui ont trait à l’accouchement des femmes. Très longtemps réservé à ces dernières (depuis l’antiquité) ; ce savoir va être lui aussi repris et institutionnalisé par des hommes qui vont modifier les techniques de l’accouchement ; par exemple en mettant au placard la chaise d’accouchement qui les obligeaient à s’accroupir devant la femme pour lui préférer la position sur le dos en décubitus dorsal plus confortable et peut être moins humiliante pour le médecin ; mais bien plus dangereuse et inconfortable pour la femme.

            Au XXème siècle néanmoins, la parole des femmes se libère progressivement, et des sujets tels que la contraception ou l’IVG commencent à être considérés. Le corps de la femme cesse alors d’être vu soit comme un objet reproducteur soit comme un objet de désir ; les femmes s’émancipent en tant qu’individu. Néanmoins, ces conceptions ne disparaissent pas totalement ; loin de là. La frontière entre une gynécologie moderne, médicalisée, sûre et progressiste et une médecine des organes féminins plus ancienne, dangereuse, contraignante et conservatrice n’est qu’une illusion grossière. Les pratiques de contrôle des naissances (par l’interruption de grossesse ou la contraception), la multiplicité des partenaires, l’attention portée aux maladies utérines ne datent pas du XXème siècle ; elles y sont simplement certainement plus courantes et moins dissimulées car le sujet n’est plus autant tabou.

Sur le long terme, les sociétés occidentales ont vu une série d’associations « obligatoires » tant au niveau normatif que pratique se défaire. Première en importance est sans doute la dissociation qui intervient entre la sexualité et la conjugalité. Le couple marital, temple de l’ordre social a été mis à mal (célibats prolongés, divorces, nouvelles unions, concubinages, relations homosexuelles) cependant que l’impératif d’une vie sexuelle limitée à la seule conjugalité a été largement subverti. Il serait naïf d’imputer au siècle qui vient de s’achever le seul bénéfice de ces transformations. Les couples français de l’Ancien Régime savaient déjà limiter leur descendance. Le poids des normes religieuses et des contraintes sociales et culturelles s’est cependant allégé au cours du dernier tiers du XXe siècle, accréditant la thèse d’une « révolution » des mœurs.[3]

            Bien entendu, avec la levée d’une partie du tabou les techniques se perfectionnent, la contraception devient plus efficace et l’interruption de grossesse moins dangereuse. D’autre part ; la gynécologie et l’obstétrique revient peu à peu dans les mains des femmes jusqu’à de nouveau être considérée, dans les cursus de médecine, comme une médecine de femmes. En effet, à l’heure actuelle, 94.25% des gynécologues sont des femmes[4]. Pourtant, qu’elle soit entre les mains des hommes ou des femmes ; la gynécologie reste vectrice de normes et de violences. Dans le même temps, elle est une instance de soins et une garantie de sécurité sanitaire. Si cette médecine spécifique a la capacité d’imposer des normes ; elle a également celle de prévenir et soigner les violences sexuelles. Le geste est un mouvement appliqué sur le monde.  Parce qu’il s’agit d’un traitement de l’intimité ; le geste du gynécologue est lourd de conséquences. Il peut détruire s’il est violent ; mais il peut aussi reconstruire une blessure. Il peut imposer une sensation de perte de contrôle du corps s’il n’est pas consenti, mais peut permettre le contrôle du corps s’il est effectué dans un climat d’écoute. Il peut être dangereux s’il résulte d’une intention violente ; mais peut sécuriser la sexualité des femmes. En arrachant le soin du corps des femmes à ces dernières au XIXème siècle, les médecins en ont fait un outil de contrôle. Pourtant, petit à petit, la gynécologie prend un autre tournant et permet une certaine libération de la femme au XXème siècle ; tout en continuer paradoxalement à véhiculer des normes sexistes. Est-elle, en ce sens, miroir ou vectrice des normes sociales ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre I : Le geste gynécologique, un geste à la fois normé et producteur de normes

I.La première consultation

 

Le geste gynécologique est un geste qui répond à des normes médicales et sociales, mais qui en véhicule également. Les actes dans le cabinet impriment une compréhension injonctive du corps sur les patientes. Le message passé par le geste transmet les normes du corps. La première consultation est donc d’autant plus importante car elle signe en quelques sortes un passage, l’entrée dans la sexualité de la jeune fille. Cette première consultation peut formater en partie la future vie sexuelle de la jeune femme.

« Je vois avec mes petites jeunes, je suis maternelle, c’est peut-être dans ma nature mais, quand même, c’est important ces premières consultations. Ça me fait toujours mal quand je vois ces petites jeunes qui sont très traumatisées par cette première consultation où elles ont eu mal, où elles ont eu l’impression d’être, je ne dirai pas violées, mais où elles ont été blessées et elles ont eu mal et ça reste après et je trouve ça dommage parce qu’après il y a toute une vie où on doit avoir une surveillance ».[5]

            Ce témoignage du docteur C. est issu d’un article analysant les normes sexuelles apparentes chez les gynécologues. Dans un premier temps ; elle nomme familièrement les jeunes filles « mes petites jeunes », comme si le lien qu’elle avait avec elles était affectif. Mais cela donne aussi aux jeunes filles une position d’infériorité (par le « petites ») et d’appartenance (par le « mes »). Elle revendique une manière d’être maternelle, c’est-à-dire à la fois protectrice mais également décisionnaire. Elle insiste sur l’importance des premières consultations comme des consultations décisives. Elle appuie sur le potentiel traumatique de la première consultation qui peut effectivement être décisive pour le reste du suivi. Elle minimise néanmoins à la fois l’impact et l’intention des gestes effectués.

Le modèle d’examen est parfois systématique dès la première consultation. La première consultation est supposée être dédiée à la discussion autour de la contraception. Or, lors de cette consultation, de nombreuses jeunes femmes se retrouvent à subir des examens invasifs tels que des frottis. De nombreux praticiens effectuent ces examens sans même expliquer à la jeune femme ce qu’il se passe ; et donc sans recueillir son consentement.

Cette première consultation, qui concerne la plupart du temps de jeunes femmes vierges, est supposée être dédiée à la discussion autour de la sexualité et de la contraception.  Or, souvent, une batterie d’examens presque ritualisée est pratiquée lors de cette première consultation. Le premier contact qu’a la jeune femme avec sa sexualité est alors un objet métallique froid et les doigts gantés du praticien. Marie-Hélène Lahaye compare ces examens à un “droit de cuissage moderne”. Si l’aspect caricatural de la comparaison peut être discuté, cette dernière comporte néanmoins une part de vérité. Menée ainsi, l’entrée dans la sexualité est brutale, et on annonce de cette manière à la jeune femme que son intimité sera médicalisée sa vie entière. D’autre part, avant même qu’elle n’ait pu faire connaissance avec son corps, on le réifie et on met en évidence son aspect ouvert, augmentant ainsi sa vulnérabilité qui est alors triple : vulnérabilité face au praticien, vulnérabilité du jeune âge, vulnérabilité du corps ouvert. La répétition rituelle de gestes intrusifs présente ainsi la patiente à elle-même comme corps-objet, corps d’examen, dont la finalité est la santé de son utérus et sa fertilité.

J’avais 15 ans, afin de pouvoir prendre la pilule, ma mère m’avait accompagnée chez son gynécologue. Elle m’avait au préalable expliqué ce qu’était un toucher vaginal, bien que mal à l’aise à l’idée de me faire examiner par un homme, j’avais compris que je ne risquais rien.

Arrivée devant le bureau du praticien, celui-ci me recommande de faire “la totale”, ne comprenant pas, j’ai pensé qu’il parlait du toucher vaginal. Après m’avoir demandé expressément de me déshabiller et de ne garder que mon soutien-gorge, il a procédé au toucher vaginal et à l’échographie (que je ne pensais pas faire mais comme l’examen était indolore, je n’ai rien dit). Puis, le gynéco a changé de gants et a inséré rapidement 2 doigts dans mon anus. A aucun moment, il ne m’a expliqué ce qu’il faisait, ni pourquoi. J’étais choquée et après m’être rhabillée en vitesse, j’avais les larmes aux yeux. De plus, j’ai eu droit à une tape sur la tête où il a déclaré à ma mère en souriant “elle a été sage, c’est une grande fille maintenant” à la sortie de son bureau.

Je n’ai pas consenti à ce toucher rectal, j’ai été surprise, j’ai eu mal. Je me suis sentie trahie. J’ai ressenti ce geste comme une violation de mon intimité, je n’ai pas su dire stop n’ayant pas eu la possibilité de dire non. Je me suis également sentie humiliée avec son ton paternaliste mais je suis restée muette. 

Le pire, c’est que cet été, 7 ans après, j’ai supporté une infection vaginale pendant 3 mois de peur de devoir consulter un spécialiste. Heureusement, ce n’étais pas grave, mais si ça l’avait été ? Je savais que cette peur n’était pas rationnelle et j’ai été tellement soulagée de découvrir une gynécologue, à l’écoute et bienveillante, enfin. [6]

Dans ce témoignage, c’est une sorte de rite de passage que l’on peut voir dans le geste du praticien. Rappelons d’abord que le toucher vaginal est inutile, ce que ne savent pas la plupart des femmes car il est totalement intégré à la routine de visite chez le gynécologue. De même, il est inutile de demander à la patiente d’enlever son haut, si une palpation doit avoir lieu elle peut se faire avec le haut et elle n’est de toute façon pas nécessaire avant 45 ans, sauf cas particuliers. La consultation racontée ici est une première consultation, elle n’aurait pas dû donner lieu à un examen et aurait dû être dédiée à la discussion autour de la contraception, selon les recommandations de la HAS et de l’OMS. Or, le praticien va ici jusqu’à procéder à un toucher rectal, ce sans le consentement de la patiente puisqu’il ne la prévient pas. Il n’y a aucune raison de s’attendre à cet examen dans ce contexte. De plus, il n’y a ici aucun intérêt médical. Ce que la patiente a subi ici, c’est un viol tel que défini dans le code pénal. Ce que dit le gynécologue à la mère à la sortie du cabinet, « c’est une grande fille maintenant », renvoie l’idée que la pénétration que vient de subir la jeune femme la fait passer du statut de fille à femme, comme si cet examen était nécessaire à la construction de la patiente.

Les recommandations officielles de la Haute Autorité de la santé (HAS) insistent sur la nécessité de ne pas effectuer d’examens lors de la première consultation. En effet, les examens pratiqués dans le cabinet de gynécologie sont particulièrement intrusifs puisqu’ils consistent en la pénétration d’instruments médicaux au sein de l’appareil reproducteur utérin. Généralement ; les jeunes filles refusent ces examens lorsqu’ils sont proposés selon l’article de L. GUYARD.[7] Néanmoins ; ces examens ne sont pas toujours proposés et sont parfois réalisés sans explications, sans consentement ou après un refus. Lorsque le docteur C. dit « où elles ont eu l’impression d’être, je ne dirai pas violées, mais où elles ont été blessées et elles ont eu mal » elle minimise la réalité de ces examens de première consultation. Les examens en gynécologie consistent souvent en un frottis vaginal (qui implique l’introduction d’un spéculum) et une échographie par sonde endovaginale. Nécessairement, ces examens peuvent être douloureux surtout quand ils sont réalisés sans consentement. Et l’absence de consentement fait tomber ces examens dans la définition pénale du viol ; cette définition étant formulée comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol »[8]. Or, le viol effectué dans le cadre d’une consultation gynécologique, que nous nommerons ici viol gynécologique, est souvent minimisé voir nié, comme le fait ici le docteur C. Peu de gynécologues sont jugés pour de tels comportements ; et lorsqu’ils le sont ; la peine concerne souvent leur capacité à exercer leur profession seulement alors même que la peine normalement encourue pour le viol est la prison, jusqu’à quinze ans de réclusion criminelle.

 

I.Des examens pratiqués de manière systématique

 

            Pourquoi observe-t’on ce type de comportements de la part des gynécologues ? Ils ne sont que très peu punis certes ; mais ces violences sont également facilement acceptées par les femmes. En effet ; beaucoup de femmes considèrent que le médecin sait ce qu’il fait et n’a pas à demander la permission pour performer des examens. De plus, on peut observer chez les gynécologues qui adoptent ce comportement une forme de paternalisme. Pour Dworkin ; « le paternalisme se définit comme une « interférence avec la liberté d'action d'une personne justifiée par des raisons qui renvoient exclusivement au bien-être, au bien, au bonheur, aux besoins, aux intérêts ou aux valeurs de la personne ainsi contrainte ». Dans ce type de comportements, la liberté de dire pour la patiente n’est pas au rendez-vous ; et cela au nom de son bien-être. Cependant ; le bien-être n’est pas toujours la raison réelle qui se cache derrière ces comportements. En effet, certains examens régulièrement performés ; tels que le toucher vaginal, ne sont pas utiles pour la patiente [1]. D’autres sont effectués trop tôt, comme c’est bien souvent le cas du frottis qui n’est pas nécessaire avant 24 ans mais souvent réalisé lors des premières consultations. Ces examens sont souvent réalisés par conformisme, dans l’objectif de respecter une procédure de consultation systématique ; et par ignorance de la part des gynécologues qui ne mettent pas leurs connaissances à jour.

Dans tout mon parcours, j’ai eu un certain nombre de touchers vaginaux et je ne me souviens pas d’une seule fois où j’ai pu avoir le choix[2]

La raison de ces examens repose également dans le paternalisme rencontré dans le domaine de la médecine gynécologique. En effet, la gynécologie est une médecine qui touche à l’intimité. Si toutes les médecines peuvent être paternalistes ; dans le cas de la gynécologie cela concerne le sujet sensible des relations sexuelles. Or, c’est là un des sujets les plus soumis aux normes sociales. On trouve encore, dans la société, cette idée qu’une femme doit se cantonner à une sexualité monogame, pas trop osée, mais qu’elle doit quand même avoir une sexualité et répondre à des critères physiques bien particuliers tels que la minceur. La gynécologie peut alors devenir un lieu de punition. Or ; le code de déontologie médicale précise que « le médecin ne doit pas s'immiscer sans raison professionnelle dans les affaires de famille ni dans la vie privée de ses patients. ». Dans le domaine de la gynécologie, des questions sur la sexualité de la patiente sont souvent posées.

Le paternalisme médical nie le droit à la propriété que l’on a de son propre corps ; et c’est d’autant plus le cas en gynécologie que cela touche à des questions relatives à la vie quotidienne. En médecine, le paternalisme désigne un comportement du médecin qui ne se considère pas comme partenaire du patient mais plutôt comme supérieur hiérarchique.  Le médecin, fort de ses études et connaissances sur le corps, se considère alors comme plus apte à prendre des décisions pour le patient que ce dernier. Le consentement est mis de côté au nom de la mission du médecin, il n’est pas considéré comme une donnée médicale pertinente et n’est donc pas à prendre en compte. Le patient n’est pas considéré comme apte à savoir ce qui est le mieux pour lui, à calculer sa propre balance coût/bénéfice. Son avis est mis de côté. En imposant un tel pouvoir sur les corps, le paternalisme en médecine a finalement également une fonction politique, car un pouvoir sur le corps donne un pouvoir sur les individus. Le paternalisme médical, observable au quotidien dans nos sociétés, transfère la fonction de soin de la médecine à celle de biopouvoir. En imposant les conceptions de la vie bonne d’une personne ou d’un groupe de personnes à d’autres personnes ou groupes, le paternalisme nie la pluralité des individus, nie leur capacité de décision à propos d’eux-mêmes et passe outre leur consentement.  Le paternalisme suppose un lien de subordination et donc une obéissance.

 

II.Savoir théorique du médecin et savoir pratique du patient

 

Pourtant, une coopération entre médecin et patient serait plus intéressante pour la santé de ce dernier. La mission première du médecin est de soigner, et de le faire sans nuire. Le Primum non nocere[3] d’Hippocrate ne peut s’appliquer que si on écoute le patient. En effet, si le médecin possède un savoir théorique et spécifique sur la maladie du patient ; le patient, lui, possède un savoir pratique sur lui-même. Si le médecin sait certainement mieux que le patient ce qui est préférable pour sa santé, il ne sait pas ce qui est mieux pour le patient au vu de ses convictions, de son passé, de ses relations, de ses habitudes, de ses expériences, de ses plaisirs, de l’organisation de ses journées et de chaque petit recoin de sa vie. Postuler que le médecin sait mieux que le patient ce qui est bon pour lui, c’est postuler que le patient place sa santé physique[4] comme une priorité. Or, il n’y a aucune raison de postuler, face à un patient qu’on ne connait pas, que sa santé passe pour lui avant toutes choses. Peut-être sa carrière sera-t 'elle plus importante pour lui, peut-être l'examen proposé touchera-t 'il à son intégrité physique ce qu’il trouvera inacceptable, peut-être ses convictions religieuses passeront-elles avant. La pluralité des personnes rend imprédictible leurs préférences dans l’espace et le temps clos d’un cabinet médical.

Si on parle de paternalisme, nous pouvons alors également parler de maternalisme. En effet, la gynécologie est une profession majoritairement féminine, et à ce titre les médecins femmes peuvent considérer leurs patientes avec un angle de vue très maternel comme nous avons pu le voir dans le témoignage du docteur C.

« La féminisation de la profession de gynécologue (90 % des gynécologues sont des femmes) constitue un élément pouvant pourtant aider les jeunes filles à se sentir plus à l’aise, les gynécologues femmes affirmant adopter à leur égard une attitude très « maternelle » et « maternante » »[5]

Si cette attitude peut effectivement être bénéfique dans certains cas, notamment quand elle implique une certaine douceur et une certaine écoute ; elle peut également être problématique. En effet, certaines praticiennes vont chercher à protéger les jeunes filles face à la sexualité par exemple ; ce qui peut les amener à donner une vision partiale de ce pan de la vie des patientes. Les praticien.e.s s’attribuent souvent le rôle d’éducateur dans la sexualité des jeunes femmes.

Alors que la sexualité n’est que très rarement abordée dans les consultations gynécologiques [Guyard, 2008], les jeunes filles constituent une catégorie de patientes avec laquelle les gynécologues rencontrés considèrent qu’il est de leur devoir d’en parler. Cette posture repose essentiellement sur le rôle éducatif que les médecins entendent jouer auprès de leurs jeunes patientes. Ils affirment comme le Dr A. qu’il est très important de les « recadrer » et de leur donner « des normes ». Très souvent, ils font référence aux repères médiatiques qu’il convient, selon eux, de relativiser voire de dénoncer.[6]

Ce rôle d’éducation à la sexualité incombe-t ’il vraiment au gynécologue ? La question est complexe, car si les médias ne donnent pas toujours une image féministe et libertaire de la sexualité féminine (avec des injonctions à une sexualité très normée assez fréquente), les gynécologues donnent aussi une image très normée de la sexualité et font figure d’autorité. On a donc une confrontation entre la norme publique révélée par les médias et la norme autoritaire révélée par les gynécologues. Mais à qui revient réellement ce rôle d’éducation à la sexualité ? Car s’il peut servir à reproduire des normes ; il est essentiel pour parler de questions telles que le consentement, la contraception ou encore les IST.

On a dans cette volonté de prendre soin de la jeune patiente en lui parlant de sexualité un potentiel de biopouvoir. La sexualité telle que présentée généralement dans les cabinets de gynécologie est monogame, hétérocentrée et reproductive. Si certains praticiens gardent un regard objectif sur le sujet, rien n’encadre ces discours, et c’est là le problème.

Pourtant, il reste particulièrement important que le cabinet reste un lieu de parole autour de la sexualité.

La consultation de gynécologie représente aussi pour certaines un lieu où elles vont pouvoir exprimer des angoisses liées à des expériences douloureuses et traumatisantes. Espace de parole privilégié, la consultation se révèle aussi un espace de transmission de normes qui, dans leur majorité, contribuent à renforcer les inégalités entre femmes et hommes et à perpétuer les représentations négatives du corps féminin. Faire l’expérience de ces consultations à l’adolescence revient à faire l’apprentissage de ces normes et à s’astreindre à un suivi régulier. Si la famille, et plus particulièrement les mères, mais également l’école et le groupe des pairs jouent un rôle essentiel au cours des apprentissages corporels [Mardon, 2006], la consultation gynécologique occupe une place tout aussi déterminante dans ce processus.[7]

En tant que lieu ou la femme peut parler de sa sexualité, le cabinet de gynécologie est un lieu où elle peut également parler de ses expériences positives, mais aussi négatives. La gynécologie a un double rôle, elle comporte un côté très narratif et psychologique. En effet, les expériences telles que le viol, l’avortement ou encore l’excision impliquent des séquelles à la fois physiques et psychologiques. D’ailleurs, certains gynécologues se spécialisent dans le traitement de ces séquelles. Pour autant, les discours n’étant pas encadrés le cabinet peut effectivement se révéler être un espace de transmission de normes. On observe d’ailleurs une scission entre les discours des gynécologues de la génération dite « boomers » et ceux des gynécologues plus jeunes, qui semblent plus compréhensifs face à une sexualité qui ne rentre pas dans les cadres.

            Le cabinet véhicule parfois une image très précise de ce que doit être la femme, nous renvoyant à l’idée ancienne des devoirs que cette dernière devrait avoir envers l’homme.

Au cours de chaque consultation, les patientes sont invitées à se peser. Si la prise de poids est systématique, elle ne fait en revanche jamais l’objet d’une quelconque explication de la part du médecin. Elle donne lieu cependant à des conseils, y compris aux adolescentes ne présentant aucun problème de poids. Les jeunes filles sont incitées à surveiller leur ligne en ayant une alimentation équilibrée et une pratique sportive régulière. Minceur et tonicité sont mises en avant. Toutefois, les adolescentes qui manifestent le désir de corriger certaines formes qu’elles jugent disgracieuses ou disproportionnées sont vivement découragées par les médecins, l’objectif étant de préserver le corps de toute intervention pour la reproduction. Les femmes ayant eu « leur compte d’enfants » sont en revanche encouragées à recourir à la chirurgie esthétique si elles en expriment le désir. [8]

            La pesée n’est pas nécessaire lors d’une consultation gynécologique, tout comme les autres examens pratiqués en batterie de manière systématique d’ailleurs. Les conseils liés au poids données par les médecins sont révélateurs des attentes de la société envers la femme d’un point de vue de l’apparence. On cherche à normativiser le corps. Néanmoins, l’aspect du corps passe derrière la nécessité reproductive.

 

 

 

 

Chapitre II : Les normes internes à la médecine et leur impact sur la gynécologie

I.La répartition sociale des genres au sein de la médecine

 

            Si le cabinet gynécologique est parfois un lieu de reproduction des normes sociales, on retrouve cette ségrégation genrée au sein même de la médecine. En effet, les spécialités en médecine ne sont pas également réparties entre les hommes et les femmes ; la médecine générale par exemple, largement sous-estimée, est plus souvent occupée par des femmes alors que les postes de chirurgie le sont plus par des hommes ;

Cette inégale répartition s’observe également au sein des professions médicales liées à la gynécologie et à l’obstétrique. Les femmes sont majoritaires au sein de la gynécologie médicale. Elles représentent 94% des praticien.ne.s de cette discipline au 1er janvier 2017[9]. Néanmoins, jusqu’au début du XXIème siècle, la gynécologie était majoritairement occupée par les hommes. Quant à l’obstétrique, elle reste occupée en grande partie par des hommes.          Quant aux postes à responsabilité, sans surprise, ils sont majoritairement occupés par des hommes. Si la part des femmes augmente dans les études de médecine ; cela ne se traduit pas dans le haut du panier hiérarchique. Il existe en France 37 facultés de médecine, et 33 des doyens de ces facultés sont des hommes[10]. Le conseil national de l’ordre des médecins est composé de cinq femmes et de quarante neuf hommes. Les instances de décision de l’académie de médecine (bureau, conseil d’administration, présidence, secrétariat et commissions thématiques) sont composées uniquement d’hommes. Dans ces conditions, il est difficile d’apporter un point de vue féminin sur la question du sexisme dans le domaine médical à l’intérieur même de ce domaine. De nombreuses femmes témoignent de pressions subies par des instances du domaine médical lorsqu’elles décident de porter plainte pour des actes relevant de sexisme, on peut se questionner sur le rôle que joue l’inégale répartition des postes dans ces comportements. D’autre part, il semble essentiel de se questionner sur les raisons de cette inégale répartition. Est-ce dû à une inaccessibilité de ces postes aux femmes ou bien est-ce l’image qu’elles en ont ? La différenciation genrée subie dès l’entrée en médecine est une conséquence mais très certainement aussi une cause de cette absence de femmes dans les postes décisionnaires. En effet, les femmes étant posées en tant qu’inférieures via le sexisme dans leurs années d’études, elles peuvent potentiellement ne pas oser postuler à ces postes, ne pas croire qu’ils leur sont accessibles. D’autre part, l’accès peut leur en être réellement bloqué dans la mesure où ce sont des hommes, également formés dans un cadre sexiste, qui décident de qui occupera ces postes puisque ce sont eux qui sont aux postes de décision.

            Il est nécessaire d’agir, encadrer, sensibiliser et éduquer autour de ces différences hommes femmes au sein de la médecine et des cursus médicaux. En diminuant le sexisme dans les études de médecine et au sein des centres médicaux, on rend plus accessibles aux femmes les postes les plus élevés, rompant ainsi le cercle vicieux dont nous parlions plus haut.

Les constats de sexisme dans les témoignages et les auditions menées par le HCE mettent en exergue la nécessité de formation, tant initiale que continue, des professionnelles de santé comme un levier incontournable.[11]

            Cependant, ces différences ne sont pas à sens unique et n’impactent pas que les femmes. L’AAMC[12] a recueilli dans une étude sociologique nommée « stories from the field » [13] des témoignages d’étudiants victimes de sexisme dans leur cursus de médecine. Un des étudiants décrit une mise à l’écart préjudiciable commise par une des médecin femmes de l’hôpital :

« In surgery while on walk rounds, the female resident pulled my fellow classmates aside (two female students) to make a teaching point. When I inquired about the teaching point, she looked toward me and exclaimed, ‘No, not for you!’ ». [14]

Il s’agissait certainement dans ce cas d’un point d’enseignement sur un sujet tel que la gynécologie ou l’obstétrique. En mettant l’élève masculin à part, elle lui refuse d’une certaine manière la possibilité d’avoir accès à ce type de médecine, renforçant les différenciations genrées des spécialités. Il s’agit là d’un témoignage se déroulant aux Etats-Unis, néanmoins il est tout à fait possible d’observer ce type de comportement en France.

            Dans le même temps, une des étudiantes a témoigné d’une infantilisation et d’un traitement différencié menés par les enseignants de sexe masculin. Elle considère que son expérience en tant qu’étudiante a été diminuée car les médecins et résidents refusaient de travailler avec elle, l’ignoraient durant les situations ou l’enseignement intervenait, ou les questionnaient de manière excessive et embarrassante. Une des étudiantes a témoigné d’une manière de parler aux étudiantes comme à des enfants et d’un comportement qui les traitaient comme inférieures. Les étudiants étaient traités avec plus de respect et on leur posait les questions à eux, comme si les étudiantes n’étaient pas capables d’y répondre.

II.L’impact du curriculum caché

On observe donc un traitement différencié entre les hommes et les femmes au sein des cursus médicaux. Ce traitement différencié constitue une partie ce qui est nommé le curriculum caché, soit des savoirs acquis non pas par les cours, par le théorique ; mais par tout ce qui les entoures. Le curriculum caché doit être considéré comme une partie intégrante des acquis d’une formation.

Le curriculum est donc un ensemble de savoirs sélectionnés par des groupes d’intérêts et doit être interprété comme partie prenante d’un processus idéologique. Cette posture pointe le lien entre le savoir socialement construit et le pouvoir, lequel s’arroge la possibilité de sélectionner un savoir utile à ses intérêts, ce qui revient à poser la question suivante :  qui construit le  curriculum  et  pourquoi? Il s’agit alors d’analyser à la fois les formes hégémoniques en place dans la réalité sociale et les dynamiques sociales, collaboratives, passives, résistantes... Ces formes renvoient à l’organisation de la société et à des  réalités  sociales  de  genre,  d’origine  ethnique,  de  classe,  de  situations spécifiques (guerres par exemple). C’est par ce biais que s'introduit un curriculum caché, dont un des objectifs est celui de la conservation de l’ordre qu’il est censé véhiculer. [15]

 

Le curriculum caché n’existe pas qu’en médecine. On donne ce nom aux savoirs acquis par l’expérience dans certains domaines d’activité. Le « savoir socialement construit », c’est le savoir que l’on a acquis par l’expérience sociale. Le curriculum caché fonctionne en reproduisant des normes sociales. Il construit un système de valeurs et influence le comportement de l’individu. Il est enseigné implicitement, au jour le jour, et peut contredite les messages transmis dans la formation. Il est inculqué par l’exemple, par le vécu.

Le curriculum caché ne se limite pas au choix de spécialité. Il nous attaque aussi en tant que professionnels respectueux de l’éthique et attentionnés. La collégialité, les soins centrés sur le patient et la pratique éthique passent souvent bien après le savoir factuel ou sont mis de côté par les réalités pratiques.

Lorsque les étudiants passent du niveau pré doctoral au niveau postdoctoral de la formation médicale, toutes les transformations ne sont pas positives. D’abord ouverts d’esprit, les étudiants développent un obtus ; intellectuellement curieux, ils en viennent à se concentrer étroitement sur les faits ; ils vont de l’empathie au détachement émotionnel, de l’idéalisme au cynisme et, souvent, de la courtoisie et de la compassion à l’arrogance et à l’irritabilité.[16]

Ce qui constitue le curriculum caché, c’est le comportement des professeurs et médecins envers les étudiants ; mais pas seulement. Les week-ends d’intégration, les fresques humoristiques dans les salles d’internes, les soirées étudiantes, le ton des questions du questionnaire d’entrée en cursus de médecine ; tout cela transmet des normes de manière implicite. Tout cela peut contredire ce qui est enseigné dans les cours et prévaut souvent par mimétisme. De même, l’envie d’être reconnu dans sa spécialité ainsi et surtout que le manque de temps et de moyens incite les professionnels de santé à ne pas s’attarder sur le patient, au détriment de l’éthique.

Tous ces apprentissages implicites ne sont pas ouvertement prévus dans les cursus médicaux. Néanmoins, n’est-ce pas l’Etat qui est responsable du manque de moyen ? N’est-ce pas lui qui cadre par la loi les comportements des médecins ? La manière dont ces normes sont admises et inculquées n’est-elle pas, si ce n’est voulue, tout de moins le résultat d’un certain laisser faire ?

            Ce curriculum caché implique une certaine vision de la femme, de son corps comme de sa nature. Or, cette vision est profondément sexiste. En gynécologie, cela est bien entendu particulièrement problématique. La pression constante posée sur les professionnels de santé invite également à faire rentrer les individus dans des cases et à marquer une distance avec eux. Les formations sont encore bien trop centrées sur la technique et n’incluent pas assez de dimension humaine. Le sexisme inclus dans le curriculum caché est perpétré en grande partie par les supérieurs hiérarchiques. 86% des internes de médecine (hommes comme femme) déclarent avoir vécu ou été témoins de sexisme, sur eux-mêmes, d’autres soignants ou des patientes. Certains de ces faits de sexisme relèvent de la définition de l’agression sexuelle dans le code pénal. La moitié sont commis par des médecins et des supérieurs hiérarchiques, et 10% sont commis par des chefs de service. [1]

L’étude menée dans l’article de France Culture relate de nombreux chiffres, que nous avons décidé de ne pas tous citer ici. Ce que nous apprennent ces chiffres, c’est qu’une très large majorité des actes dans le milieu médical concerne des femmes, mais que les hommes n’en sont pas exclus et que la part des hommes victimes de sexisme n’est pas négligeable. Ces actes se déroulent dans leur majorité lors d’une visite à l’hôpital, au bloc et en cours. La mise sur un piédestal des chirurgiens leur donne une autorité qui leur permet d’adopter un comportement inacceptable au bloc sans que pour autant les internes se trouvent légitimes pour intervenir.

D’autre part, nous parlons ici uniquement du sexisme qui est reconnu comme tel. En effet, une partie du sexisme n’étant pas à proprement parler une agression physique ou un traitement différencié, il n’est pas toujours reconnu comme tel. Ainsi, 88,4% des internes déclarent avoir été témoin de blagues sexistes, dont 35% de manière répétée. La part des hommes et des femmes victimes de ce type de blagues et assez proche, variant de 90% pour les femmes à 85% pour les hommes. Pourtant, tous les internes ne considèrent pas nécessairement qu’il s’agît là de sexisme. 7% seulement des femmes considèrent qu’il s’agit de sexisme contre 9% des hommes. La plupart considèrent que cela est acceptable dépendamment des circonstances ou encore que « c’est de l’humour ». La part peu élevée de femme considérant des blagues sexistes comme acceptables, qui est même moins élevée que la part des hommes, témoigne de la manière dont le sexisme a été intégré par les femmes dans le milieu médical comme une partie intégrante de la vie, comme une norme indiscutable.

Une étudiante de 24 ans en externat dans un grand hôpital parisien témoigne du caractère omniprésent et banalisé du sexisme : « C’est simple, je ne peux même pas me souvenir de la blague sexiste qui m’a le plus choquée. Il y en a tellement qu’on finit par ne plus relever ». « À l’hôpital, mon chef de service m’appelle “petite chienne” », raconte une jeune externe en médecine de 23 ans, étudiante à l’université Paris-V. « Je me souviens d’une opération en orthopédie, le chirurgien m’a regardée en me disant : “Tu vois, je plante ce clou dans l’os comme ma bite dans ta chatte.” Sur le coup, on ne dit rien, on rit jaune, mais c’est violent. » témoigne une autre externe[2]

            Ces témoignages reflètent une très forte violence verbale. Le premier témoigne d’une répétition systématique de ce type de blagues. La présence d’un surnom utilisé au quotidien implique nécessairement par la répétition encore l’intégration de la norme et l’acceptation de cette dernière par la répétition de la violence. Une fois cette norme de violence verbale sexiste adoptée, qui est à la limite de ce que peut initialement accepter l’interne, il sera possible d’en faire accepter une suivante après avoir repoussé ses limites. Enfin l’avant dernier témoignage est digne d’une punchline de rap, seule l’autorité du chirurgien lui permet de prononcer des phrases d’une telle violence qui seraient immédiatement sanctionnées si prononcées par quelqu’un d’autre ou dans un autre contexte. Le dernier témoignage montre la peur de réagir que subissent les étudiantes et l’obligation qu’elles ont de rire à cet humour qui leur fait mal.

La fresque du centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont Ferrand en est une illustration : elle représentait quatre superhéros violant l’héroïne Wonderwoman et avait suscité, lors de sa révélation en 2015, l’indignation, des collectifs féministes jusqu’au Gouvernement. L’association des internes de Clermont-Ferrand justifiait la fresque par un « humour graveleux » et demandait le respect de leur « liberté d’expression ». Plus récemment, c’est la fresque située dans la salle de garde d’un hôpital toulousain qui a suscité des tensions. Jugée sexiste par un collectif d’internes qui a réclamé son retrait dès le 11 janvier 2018, elle a finalement été effacée le 8 mars dernier. Là aussi « l’humour carabin » avait été mobilisé pour tenter de justifier sa présence sur le lieu de travail des internes.

Les Week-ends d’intégration en médecine sont également un exemple du sexisme que l’on peut rencontrer dans les études de médecine. Ils s’apparentent à une forme de bizutage qui touche principalement les femmes. En octobre 2017, une enquête à été ouverte à propos d’un de ces week-ends d’intégration, suite à la plainte d’étudiantes et d’étudiants de la faculté de médecine de Caen. Le week-end d’intégration avait alors été annulé. Les syndicats étudiants avaient dénoncé un climat d’incitation au viol lors d’événements similaires passés. Des témoignages concernant des scènes de violence, d’humiliation et même de viol avaient été recueillis auprès des étudiants. Lors de ces événements passés, on avait pu constater des pratiques sexistes. L’affiche d’un des galas de médecine mettait en scène des hommes en toge entourant une femme à terre, nue et en sang. Un prix de « miss chaudasse » avait été remis à une jeune femme à son insu. Une des étudiantes avait témoigné dans la presse d’un environnement machiste au sein de cet établissement.[3]La symbolique utilisée lors de cet événement relève de celle de la domination de l’homme sur la femme. C’est donc un des premiers messages transmis aux étudiants lors de leur entrée en médecine. Le témoignage suivant relate l’expérience d’une étudiante qui, petit à petit, s’est mise à accepter de plus en plus de choses au sein de la vie sociale périphérique à ses études.

 

 

Comme les autres, j’ai commencé à enchaîner les soirées. Il y avait beaucoup d’alcool. Les étudiants en médecine revendiquent pour beaucoup une sexualité très libre. Je ne voyais pas le problème. J’ai fait des choses que je ne faisais pas auparavant, poussée par l’esprit de groupe. J’ai vécu un an dans une bulle, sans m’en rendre compte. Et puis un jour, j’ai compris que tout cela, ça n’était pas moi. Que j’avais accepté de faire et qu’on me fasse des choses   qui   ne   me   ressemblaient   pas, lors   des   week-ends   d’intégration   ou   des   soirées.   Je   suis   revenue brutalement à la réalité. Il m’a fallu du temps pour admettre que j’avais subi des violences. Dans cette ambiance-là, je me disais au départ que je l’avais bien cherché. J’ai mis du temps à déculpabiliser, à parler. Je me suis aperçue que nous étions tous très limite sur la notion de consentement, entre nous. Ça m’a conduite à m’interroger sur nos futures pratiques de soignants : quelles conséquences sur notre comportement envers nos patients ? On parle souvent du machisme ou du sexisme du monde médical. Ça démarre dès les études de médecine. Mais la plupart des étudiants n’ont aucune conscience des dérives possibles, de la gravité de ce qu’ils font. Le côté excessif, transgressif, ça les fait plutôt rire. Ils ne pensent pas aux conséquences, aux risques. Ils vivent dans une bulle. En tant que futur médecin, ça n’est pas le milieu dans lequel j’ai envie d’évoluer. Je veux que chacun prenne conscience du ridicule du bizutage. Et qu’on n’arrête de dire que ça n’est pas grave. Si, c’est grave de subir autant puis de reproduire, au nom de la tradition. Si, c’est grave qu’une jeune fille se sente obligée de photocopier ses seins pour s’intégrer. Et c’est grave aussi de ne rien dire, même si on reste en marge.[4]

Ce témoignage nous permet de comprendre la mécanique d’acceptation et de reproduction présente derrière ces actes sexistes. Dans un premier temps, l’étudiante s’intègre aux autres et cette intégration implique des soirées très alcoolisées. Dans un milieu réputé demander beaucoup de travail, cette intégration sociale permet à l’étudiante de ne pas totalement s’isoler et est un pilier du soutien entre les étudiants. Tout cela cumulé fabrique un esprit de groupe très fort, très soudé. Des actes sexistes sont perpétrés sous couvert d’une « liberté sexuelle » qui est plutôt une forme d’emprisonnement dans des schémas sexistes. Sous la pression de groupe, encore plus sous l’emprise de l’alcool, les étudiantes font des choses « qui ne leur ressemblent pas » ; c’est-à-dire qu’elles ne veulent pas réellement faire. On a à la fois la pression de l’appartenance à un groupe, la volonté d’acceptation et la mise à l’écart de l’individu du reste de la société puisque les études de médecine, très lourdes, ont tendance à enfermer « dans une bulle ». Ces mécanismes se rapprochent de ceux de la secte. Si l’étudiante se rend compte des violences qu’elle subit et du sexisme présent dans son domaine, elle culpabilise avant tout, elle a honte ; ce qui est un mécanisme très courant dans les suites des violences sexuelles d’autant plus lorsqu’il n’y a pas eu de violence physique. Ces jeunes femmes se disent qu’elles auraient pu éviter ça, qu’elles auraient pu dire non, sans être conscientes des mécanismes présents derrière leurs choix.

Mais la majorité des étudiants ne prennent jamais conscience du cercle vicieux dans lequel ils sont enfermés et de ses implications dans leur pratique médicale à venir, implications très justement relevées dans ce témoignage. Rire du corps, et surtout du corps de l’autre et de la domination que l’on a sur lui, éloigne de l’empathie nécessaire à la profession médicale. Ils ne comprennent pas, également, les implications psychologiques à long terme de ce genre de comportement sur les étudiantes. Elles-mêmes ne se rendent généralement pas compte des violences qu’elles subissent. On minimise la tradition sexiste du milieu médical et du bizutage au détriment, dans un premier temps, des étudiantes puis plus tard des patientes. Et cette tradition ne se manifeste pas seulement entre étudiants, au sein des soirées d’intégration et des galas. On peut repérer du sexisme au sein même de la formation initiale des étudiants. En ABRIl 2016, un scandale avait explosé sur le contenu des questions d’un examen de type questionnaire à choix multiple de sixième année de trois universités de médecine parisienne. Il présentait le cas d’une patiente qui avait reçu une fessée sur son lieu de travail de la part de son supérieur hiérarchique. Cette question aurait pu être une bonne question de prévention des violences sexistes en milieu médical, mais ses créateurs ont proposé dans les choix de réponse « vous lui demandez d’aller au coin car elle n’a pas été sage ». Le ton humoristique de cette réponse, pour une question déjà très souvent prise à la légère, renforce l’impression qu’ont les étudiants qu’il s’agit là d’un sujet qui n’est pas si grave, d’autant plus que la « blague » vient de ceux qui leurs enseignent la médecine.

Le sexisme dans le milieu médical a fait l’objet d’une partie du « rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé » remis en 2018 à Agnès Buzyn et à Frédérique Vidal, respectivement ministre de la santé et ministre de l’enseignement supérieur. Ce rapport constate une grande tolérance sur le sexisme dans le milieu médical, qui ferait « partie du décor », serait presque une tradition finalement ; mais il constate aussi une libération de la parole. « La parole s’est libérée. Les réseaux sociaux y ont contribué, mettant en lumière des comportements inacceptables qui auparavant étaient passés sous silence et tolérés. Le sexisme a été très présent dans le système de santé et l’est encore, même si tous les seniors s’accordent à dire que la situation a évolué favorablement. Les propos sexistes, pas toujours approuvés, faisaient « partie du décor ». Le harcèlement existe dans tous les métiers. Il est d’autant plus choquant lorsqu’il survient dans le milieu du soin, alors que l’on attendrait de ceux qui soignent qu’ils se comportent de manière exemplaire. »[5]. Le sexisme dans le milieu médical est toléré et pourtant constitue un problème puisqu’il fait l’objet de rapports aux ministres. Néanmoins, la conscience que l’on a de ce sexisme est assez nouvelle et vient d’une certaine libération de la parole, notamment via les réseaux sociaux et les mouvements contre les violences faites aux femmes qui y ont fleuri ces dernières années. Le sexisme en médecine est difficile à dénoncer pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’il est intégré, il y a une certaine peur d’être rejeté des autres étudiants. Ensuite parce qu’il est aussi mis en place par des supérieurs hiérarchiques, des médecins, des chirurgiens et des professeurs par exemple. En dénonçant ces actes, les étudiants peuvent mettre leur carrière en danger.

La figure du médecin en général est une figure d’autorité dans la société. Ainsi, une relation d’autorité existe également par convention entre médecin et patiente. Il s’agit de plus d’un milieu assez restreint, et la carrière des étudiantes peut effectivement être atteintes si elles haussent la voix, ce qui limite leur prise de parole. Le rapport appuie sur la nécessité de mettre en place des dispositifs sécurisant la prise de parole pour ces jeunes femmes afin que cette dernière n’ai pas d’impact négatif sur leur carrière à venir.

La part des femmes en études de médecine est supérieure à celle des hommes, elles représentent 64% des étudiants, mais leurs choix de spécialités sont différents et commencent tout juste à évoluer. Elles vont plus souvent que les hommes se diriger vers des médecines comme la médecine générale, souvent méprisée dans le domaine médical ; la pédiatrie, la dermatologie ou encore la gynécologie. Elles sont de plus minoritaires sur les postes de pouvoir.

L’augmentation de la part des femmes en études de médecine est nouvelle et dans les hôpitaux, les hommes sont encore en supériorité numérique. En 2017, en milieu hospitalier, on comptait 42% de femmes médecins pour 58% d’hommes. Elles représentent un anesthésiste sur trois et un chirurgien sur cinq, ces dernières spécialités étant considérées comme très prestigieuses. [6] Cette difficulté d’accès aux postes les plus prestigieux pour les femmes est à la fois une conséquence et une cause du sexisme présent au sein des cursus. Ce sexisme, les humiliations à répétition, les insultes, la diminution de la figure de la femme en tant que médecin, tout cela peut pousser les étudiantes à croire qu’elles ne sont pas capables d’occuper ces postes. D’un autre côté, le fait que les femmes n’occupent pas ces postes peut alimenter ce sexisme.

 

[1]« “Il me fait un bisou sur un sein” : maltraitance gynécologique, vos témoignages », France Culture, sept. 30, 2015. https://www.franceculture.fr/sciences/il-me-fait-un-bisou-sur-un-sein-maltraitance-gynecologique-vos-temoignages (consulté le oct. 15, 2020).

 

[2] « “Il me fait un bisou sur un sein” : maltraitance gynécologique, vos témoignages », France Culture, sept. 30, 2015. https://www.franceculture.fr/sciences/il-me-fait-un-bisou-sur-un-sein-maltraitance-gynecologique-vos-temoignages (consulté le oct. 15, 2020).

 

[3] https://www.legeneraliste.fr/actualites/article/2018/04/05/le-congres-de-la-medecine-generale-sengage-contre-les-violences-sexistes_314380179- http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/10/22/agnes-buzyn-denonce-le-harcelement-sexuel-qu-elle-a-subi-lorsqu-elle-etait-medecin_5204447_3224.html#tr8f0Olov0yLOr80.99180- RDV avec le HCE, 25 avril 2018181- http://www.liberation.fr/societe/2015/01/19/la-fresque-du-chu-de-clermont-ferrand-fait-un-tolle_1183939182- ibid183- http://www.whatsupdoc-lemag.fr/actualites-article.asp?id=24409HCE–Lesactessexistesdurantlesuivigynécologiqueetobstétrical99

[4] « “Il me fait un bisou sur un sein” : maltraitance gynécologique, vos témoignages », France Culture, sept. 30, 2015. https://www.franceculture.fr/sciences/il-me-fait-un-bisou-sur-un-sein-maltraitance-gynecologique-vos-temoignages (consulté le oct. 15, 2020).

 

[5]

[6] https://www.legeneraliste.fr/actualites/article/2018/04/05/le-congres-de-la-medecine-generale-sengage-contre-les-violences-sexistes_314380179- http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/10/22/agnes-buzyn-denonce-le-harcelement-sexuel-qu-elle-a-subi-lorsqu-elle-etait-medecin_5204447_3224.html#tr8f0Olov0yLOr80.99180- RDV avec le HCE, 25 avril 2018181- http://www.liberation.fr/societe/2015/01/19/la-fresque-du-chu-de-clermont-ferrand-fait-un-tolle_1183939182- ibid183- http://www.whatsupdoc-lemag.fr/actualites-article.asp?id=24409HCE–Lesactessexistesdurantlesuivigynécologiqueetobstétrical9

 

[1] QASEEM Amir ; HUMPHREY. L Linda ; RUSSEL Harris ; et all ; « Screening Pelvic Examination in Adult Women: A Clinical Practice Guideline From the American College of Physicians ». Annals of Internal Medicine 161, no 1 (1 juillet 2014): 67‑72. https://doi.org/10.7326/M14-0701.

 

[2] Témoignage d’une patiente lors d’une réunion du collectif de soignant.e.s « Pour une meuf » ; France Culture. « “Il me fait un bisou sur un sein” : maltraitance gynécologique, vos témoignages », 30 septembre 2015. https://www.franceculture.fr/sciences/il-me-fait-un-bisou-sur-un-sein-maltraitance-gynecologique-vos-temoignages.

 

[3] En latin, “premièrement ne pas nuire”. Principe formulé par Hippocrate aussi connu comme le père de la médecine.

[4] On laisse de côté pour le moment la médecine psychiatrique, le paternalisme dans ce type de médecine pourrait être à lui seul un sujet de thèse. Le patient n’étant pas toujours lui-même, pas réellement en possession de ses moyens de décision, faut-il parfois être paternaliste ? Et dans ce cas, est-ce toujours du paternalisme ? Ces questions sont trop complexes pour les traiter en quelques lignes dans une introduction.

[5] Guyard Laurence, « Chez la gynécologue. Apprentissage des normes corporelles et sexuelles féminines », Ethnologie française, 2010/1 (Vol. 40), p. 67-74. DOI : 10.3917/ethn.101.0067. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-1-page-67.htm

 

[6] Guyard Laurence, « Chez la gynécologue. Apprentissage des normes corporelles et sexuelles féminines », Ethnologie française, 2010/1 (Vol. 40), p. 67-74. DOI : 10.3917/ethn.101.0067. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-1-page-67.htm

 

[7] Guyard Laurence, « Chez la gynécologue. Apprentissage des normes corporelles et sexuelles féminines », Ethnologie française, 2010/1 (Vol. 40), p. 67-74. DOI : 10.3917/ethn.101.0067. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-1-page-67.htm

 

[8]  Guyard Laurence, « Chez la gynécologue. Apprentissage des normes corporelles et sexuelles féminines », Ethnologie française, 2010/1 (Vol. 40), p. 67-74. DOI : 10.3917/ethn.101.0067. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-1-page-67.htm

 

[9]  Calcul de pourcentage à partir de la revue Genesis ; statistiques de ROZAN Marc-Alain ; in Genesis ; (online at) https://www.revuegenesis.fr/les-nouvelles-statistiques-concernant-notre-demographie-professionnelle/; 2014.

[10] Statistiques du livre noir de la gynécologie

[11] BOUSQUET Danielle ; COURAUD Geneviève ; COLLET Margaux ; « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » ; HCE ; 26 juin 2018

[12] Association of American Medical Colleges

[13] M. FLORENCE ; D. TERRY ; L. MARGARETS et al  « Stories from the Field: Students’ Descriptions of Gender Dis... : Academic Medicine ». https://journals.lww.com/academicmedicine/Fulltext/2006/07000/Stories_from_the_Field__Students__Descriptions_of.11.aspx (consulté le oct. 15, 2020).

 

[14]  M. FLORENCE ; D. TERRY ; L. MARGARETS et al  « Stories from the Field: Students’ Descriptions of Gender Dis... : Academic Medicine ». https://journals.lww.com/academicmedicine/Fulltext/2006/07000/Stories_from_the_Field__Students__Descriptions_of.11.aspx (consulté le oct. 15, 2020).

 

[15] A.Barthes, « curriculum caché », in Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, l’harmattan, 2017.

[16] S. C. Mahood, « Formation médicale », Can Fam Physician, vol. 57, no 9, p. e313‑e315, sept. 2011.

[1] La femme tout entière est dans son utérus.

[2] GARDEY Delphine ; « Procréation, corps, sciences et techniques au XXème siècle » ; in MARUANI Margaret (dir.) ; Femmes, sexe, genre. L’état des savoirs ; Paris ; La Découverte ; 2005

[3] GARDEY Delphine ; « Procréation, corps, sciences et techniques au XXème siècle » ; in MARUANI Margaret (dir.) ; Femmes, sexe, genre. L’état des savoirs ; Paris ; La Découverte ; 2005

[4] Calcul de pourcentage à partir de la revue Genesis ; statistiques de ROZAN Marc-Alain ; in Genesis ; (online at) https://www.revuegenesis.fr/les-nouvelles-statistiques-concernant-notre-demographie-professionnelle/; 2014.

[5] Guyard Laurence, « Chez la gynécologue. Apprentissage des normes corporelles et sexuelles féminines », Ethnologie française, 2010/1 (Vol. 40), p. 67-74. DOI : 10.3917/ethn.101.0067. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-1-page-67.htm

[6] Tumblr « je n’ai pas consenti »

[7] Guyard Laurence, « Chez la gynécologue. Apprentissage des normes corporelles et sexuelles féminines », Ethnologie française, 2010/1 (Vol. 40), p. 67-74. DOI : 10.3917/ethn.101.0067. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-1-page-67.htm

 

[8] Article 222-23 du code pénal.

I.Un sexisme qui impacte la pratique des professionnels de santé

 

Le contrôle des femmes et de leur corps n’est pas une réalité qu’au sein des cursus de médecine, mais aussi dans sa pratique. En médecine, le corps est bien souvent dissocié de l’esprit alors que le lien entre les deux est particulièrement évident en gynécologie.

Il est nécessaire d’avoir une véritable révolution culturelle dans la formation initiale. Les étudiant.e.s apprennent la technique, la science, le corps humain, mais pas la relation humaine,le respect de l’autre»[1]

Il arrive souvent, par exemple, que des examens intimes soient pratiqués sur des patientes sans leur consentement. Ces examens, menés à l’endroit le plus intime du corps féminin, peuvent alors donner à la femme la sensation de perte de contrôle de son corps et de sa sexualité. Car même si certains gynécologues affirment qu’ils ne voient dans l’intimité féminine aucune sexualité et seulement un corps duquel prendre soin, ce n’est pas le cas de la femme qui vient chez le gynécologue. Et c’est en partie cet écart entre la conception qu’a le praticien du corps-chair et celle qu’a la femme du corps-moi qui pose problème. La femme est démembrée, séparée entre son corps et son esprit aux yeux du praticien et privée de l’appropriation de son propre corps.

Les consultations gynécologiques, contrairement à un rendez-vous dermatologique ou psychiatrique, impliquent— le plus souvent mais pas nécessairement — un examen. Cet examen se pratique sur une table et implique, le plus souvent, que la femme soit nue. De plus, il se concentre sur les parties intimes des femmes, ce qui le différencie d’autres types d’examens médicaux. La position gynécologique classique, en décubitus dorsal, peut susciter un malaise chez certaines femmes au moment de mettre les pieds dans les étriers, d’écarter les cuisses et d’avoir leur vagin près du visage du.de le médecin.[2]

La gynécologie est un point clé de la vie des femmes. C’est la médecine qui est supposé leur permettre de vivre leur sexualité de manière libre et sécuritaire. C’est ce qui est supposé leur permettre de disposer de leur corps, d’en avoir le contrôle. C’est un point nécessaire de l’égalité entre les sexes. Le gynécologue, c’est par exemple celui qui informe sur les différentes méthodes de contraception et en prescrit une. C’est celui qui conseille face aux pathologies spécifiques au corps de la femme. C’est celui qui protège, par une médecine spécialisée, le corps de la femme.

 On voit apparaitre ces dernières années de nombreux témoignages de violences gynécologiques, qu’elles soient verbales ou physiques. Mais l’histoire même de la gynécologie, à partir du moment où les hommes se sont approprié la médecine du corps des femmes, relève d’un contrôle de ce même corps.

La médecine gynécologique s’est développée au XIXe siècle par une technicisation des connaissances. Les principales avancées en la matière sont l’œuvre du docteur James Marion Sims[3], souvent appelé le « père de la gynécologie moderne ». Médecin, il s’intéressa fortuitement à l’anatomie des parties génitales féminines lorsqu’il découvrit qu’en insérant plusieurs doigts dans la cavité vaginale d’une femme placée à quatre pattes et souffrant d’un déplacement de l’utérus, l’écartement provoqué lui permettait d’observer le canal vaginal et le col utérin. Il réalisa par la suite d’innombrables expériences sur des femmes noires, esclaves, souffrant de fistules vaginales, que leur maître lui avait amenées dans l’espoir qu’il les soigne. Ces expériences se firent sans l’accord des femmes, et sans anesthésie. Pour faciliter l’examen et l’intervention, il mit au point le spéculum à l’aide de deux cuillères, dont la forme est comparable à la version moderne de cet instrument. Il convia une douzaine de médecins à assister à sa première opération, qu’il réalisa à vif sur une esclave placée à quatre pattes, qui souffrit ensuite pendant des mois d’une infection du sang liée à l’opération. Sexiste et raciste, l’approche du Dr SIMS témoigne de son incapacité à reconnaître ses patientes comme des personnes autonomes, dotées de sensibilité à la douleur, en somme, de les reconnaître comme des êtres humains et non comme des appareils génitaux.

C’est dans un contexte d’appropriation du corps des femmes par les hommes que s’est développée la médecine gynécologique. Les expériences réalisées par le docteur Sims sont réalisées sur les parties intimes des femmes, sans leur consentement, et sans que celles-ci puissent répliquer dans leur condition d’esclave. Il ne tente même pas de diminuer la douleur de ces femmes, les traitant réellement comme des objets expérimentaux. Le spéculum, actuellement utilisé en gynécologie notamment lors des frottis vaginaux et même symbole de cette médecine, a été inventé par ce même docteur dans le but de pouvoir examiner plus efficacement l’appareil vaginal, non pas dans un but de soin mais dans un objectif expérimental. Les implications de ses expériences sur ses patientes lui importent peu, que ce soit le traumatisme lié à l’intrusion dans leur intimité, la douleur ressentie sur le moment ou bien les conséquences sanitaires à long terme.

Le corps féminin, en tant qu’objet sexué et objet reproducteur, fait l’objet d’une nouvelle curiosité pour les universitaires au XIXème siècle. Au XXème siècle, c’est au tour de la grossesse et de l’accouchement d’être médicalisés et technicisés. Le corps masculin, quant à lui, peine encore de nos jours à être reconnu comme objet sexué et reproducteur. La contraception hormonale masculine existe depuis la fin du XXème siècle, mais malgré la validation de son expérimentation par l’OMS ; il n’est toujours pas distribué ni considéré comme une contraception envisageable. Dans les années 1970, le mouvement de libération des femmes prend de l’ampleur. La libre disposition du corps devient une des revendications premières. Les femmes souhaitent une sexualité plus libérée, protégées de la procréation non souhaitée. On milite pour le libre accès aux moyens de contraception et pour la légalisation de l’avortement. Les femmes se réapproprient leurs corps face à l’Etat, aux sciences et aux hommes. Le corps devient un moyen d’expression et une des clefs de l’affirmation des femmes en tant qu’individu.[4] On pourrait voir un paradoxe dans la mise en avant faite par les femmes de leur corps et de leur sexualité pour combattre cette vision du corps féminin comme corps avant tout sexué et reproducteur ; mais la principale revendication portée n’est en réalité pas la perception du corps féminin autrement comme corps reproducteur, c’est là une extension logique de leurs revendications. Ce que revendique ce mouvement militant des années 70, c’est surtout une réappropriation par les femmes de leurs corps et de leurs sexualités. Ce faisant, elles redeviennent sujet à part entière et sont moins définies par leur sexe, augmentant leurs capacités d 'action.

 

 

 

 

Chapitre III : Histoire de la gynécologie et conséquences actuelles

 

I.Contraception et avortement : des libertés sous contrainte

 

Si l’avortement a été légalisé en 1975 grâce à Simone Veil, son argumentaire reposait avant tout sur la possibilité qu’offrait cette légalisation de contrôler le corps des femmes et non pas sur la liberté sexuelle ou la libération féminine. De plus, cette légalisation est venue avec des conditions très contrôlantes qui ont du mal à se libéraliser.

Mais la médicalisation de l’avortement avait aussi un objectif extra sanitaire implicite : celui de confier au corps médical le contrôle social de la procréation (Ferrand-Picard, 1982), passant ainsi de la répression judiciaire à la prévention sociale, à travers un encadrement très précis du recours autorisé (durée de gestation, entretien préalable obligatoire, semaine de réflexion, acte effectué dans des établissements agréés). Si la clause de « détresse » laissait la décision à la seule femme, elle était contrebalancée, du côté du corps médical, par la « clause de conscience » exigée par le Conseil de l’ordre des médecins pour permettre aux personnels hostiles à l’avortement de refuser d’effectuer un acte contraire à leurs principes moraux.

L’avortement est justifié par la détresse de la femme, qui est la seule à même d’évaluer sa situation sur ce point ; néanmoins cette liberté est restreinte par la durée de la gestation avant l’avortement ; qui s’est étendue depuis sa légalisation et fait régulièrement débat, et est assignée à un entretien préalable et à une semaine de réflexion. La semaine de réflexion a été supprimée il y a très peu de temps, le 27 janvier 2016. L’entretien préalable peut se révéler particulièrement traumatisant pour certaines femmes dans la mesure où, s’il est encadré en théorie, de nombreux praticiens essayent d’intervenir sur la décision prise.

La patiente qui choisit de procéder à une IVG n’est pas une patiente classique : là où le médecin est habituellement le prescripteur, c’est alors elle qui joue ce rôle. C’est elle qui choisit d’avorter. La femme a alors la pleine responsabilité de son corps. Pourtant, de nombreux praticiens restent paternalistes face à ces patientes. La pratique de l’avortement est encore moralisée et marginalisée, transformant ce droit anciennement considéré comme libérateur par excellence en vecteur normatif. Les femmes ayant recours à l’IVG sont loin d’être en marge de la norme : on estime que 40% des femmes auront recours à l’IVG au cours de leur vie. Selon l’INED, on comptabilise 0,51 avortements par femme en 2016, soit un peu plus de la moitié de la population. Malgré ce chiffre, les patientes sont régulièrement infantilisées. La faute est portée par la femme qui, pas assez responsable, aurait mal utilisé sa contraception. Le potentiel traumatique de l’IVG n’est pas dans l’acte lui-même mais dans toute la moralisation qui l’entoure. Si une partie des avortements sont effectivement le résultat d’une prescription contraceptive non suivie, de multiples facteurs s’y ajoutent. On peut observer en France une norme contraceptive souvent imposée aux femmes et qui ne répond pas nécessairement à leurs besoins et à leur mode de vie. Ainsi, lorsque la femme n’est pas considérée comme monstrueuse dans sa volonté de ne pas avoir d’enfants, elle est infantilisée quant à sa prise de contraception. La liberté d’avoir recours à l’IVG en France reste, selon l’expression de Nathalie BAJOS et Michèle FERRAND, une liberté « sous contraintes ».

De plus, si l’avortement concerne une large partie des femmes, elles continuent à être culpabilisées lorsqu’elles y ont recours, ce qui est généralement le cas lorsqu’elles font face à un échec de contraception. Alors qu’elle est considérée comme ignorante et donc non légitime, une sorte de morale du savoir est pourtant imposé aux patientes. Cela se voit particulièrement lors des parcours abortifs. Si certains membres du circuit s’abstiennent de commenter l’état et la décision de la femme concernée, d’autres ne s’en privent pas. Bien souvent, la faute est mise sur la femme : ce serait elle qui aurait mal utilisé sa contraception, faute de rigueur ou de connaissance qu’elle aurait dû acquérir à ce sujet. La patiente se trouve alors infantilisée, car sa capacité à être responsable d’elle-même et de sa contraception est remise en cause. Les patientes qui recourent à une IVG ont souvent une part de responsabilité en effet, puisque l’efficacité théorique des contraceptions est très élevée. Cependant elle n’est généralement pas la seule à porter cette responsabilité, loin s’en faut. On lui demande de tout connaitre sur sa contraception alors même qu’on ne lui a pas tout expliqué. On lui retire le contrôle de son corps pour ensuite lui reprocher de ne pas l’avoir contrôlé. Une femme qui a oublié de prendre sa pilule par exemple, et qui n’aura pas pris de contraception d’urgence (comme la pilule du lendemain) sera effectivement responsable de cet oubli. Mais est-ce réellement elle qui, dans un premier temps, aura choisi ce moyen de contraception de plus en plus considéré comme contraignant ? Était-elle avisée des risques d’un oubli ? Et le partenaire de cette femme se sera-t-il avisé de savoir si oui ou non elle a pensé à cette contraception ? Utilise-t ’il lui-même une contraception ? La femme concernée a-t-elle bien été informée des différents moyens de contraception desquels elle pouvait disposer soit par son praticien soit au sein de l’espace publique ? Était-elle avisée de l’existence d’une contraception d’urgence, de ce que cette dernière comporte de risque, d’où se la procurer et à quel prix ? Ces questions nous permettent de constater que la responsabilité est loin d’appartenir à la femme seule. Le contraste est assez frappant entre ce que l’on fait peser sur le dos des femmes et la tendance qu’ont les praticiens (et la société en général) à les traiter comme des petites filles.

La prescription de la contraception devrait, selon le modèle BERCER de l’OMS, donner lieu à une consultation dédiée dans laquelle le médecin exposerait à la patiente tous les moyens de contraception, leurs avantages et leurs inconvénients. Une recommandation de la Haute Autorité de la santé datant de 2013 donne des indications sur cette consultation dédiée : elle devrait permettre d’évaluer les attentes et besoins de la personne, ses connaissances et ses habitudes de vie ;de fournir une information individualisée, claire et hiérarchisée sur les méthodes disponibles (y compris la stérilisation) et adaptées à la personne demandeuse et s’assurer de la compréhension de ces informations ;de conseiller et/ou prescrire la méthode choisie par la personne, la plus adaptée pour elle en fonction de ses préférences, de son état de santé, du rapport bénéfices/risques des différentes méthodes, et de la possibilité pour elle d’adhérer à la méthode en fonction de sa situation et de ses habitudes de vie[5]. La prescription devrait alors résulter d’une discussion entre la patiente qui sait, par exemple, si elle sera rigoureuse dans sa prise de pilule, si elle sera capable de supporter l’intrusion d’un DIU, ou encore si elle sera capable de supporter l’incision pour le retrait de l’implant; et le praticien qui sait si la contraception peut être dangereuse pour la patiente en fonction de ses possibles pathologies et de son style de vie (problèmes cardiaques ou de circulation sanguine, patiente fumeuse, patiente atteinte d’obésité…). Dans la réalité des faits, le praticien pense encore trop souvent mieux connaître que la femme ce qui lui correspond alors que, dans le cas particulier de la contraception, les deux sont sur un pied d’égalité. Les femmes qui viennent consulter avec une demande de contraception particulière se sont souvent informées sur cette demande. Ainsi traitée, la femme est rabaissée au rang de petite fille.

La contraception repose également sur une forme de modèle figé. La pilule est le moyen de contraception le plus prescrit en France. Elle est théoriquement efficace à plus de 99%, mais son efficacité pratique est bien moindre, il s’agit d’un cachet hormonal, à prendre quotidiennement et à heure fixe. C’est une méthode de plus en plus perçue par les femmes comme contraignante et qui est la cause de nombreux échecs de contraception. Pour des femmes qui ont tendance à ne pas être rigoureuses dans leurs prises de prescription, ou qui voyagent beaucoup, ou qui ont un emploi du temps chargé qui ne leur permet pas nécessairement de prendre leur pilule discrètement (car la contraception reste un tabou) en temps et en heure (avec des réunions par exemple), cette méthode n’est certainement pas la plus adaptée. Pourtant, elle continue à être prescrite parfois alors même que la patiente a notifié de ces problèmes, et sans proposer d’alternatives telles que le DIU ou l’implant. L’implant est un dispositif placé dans le bras de la patiente. Il diffuse des hormones qui bloquent l’ovulation. Cette méthode a une efficacité pratique bien supérieure à celle de la pilule. En effet, l’implant une fois posé la femme peut l’oublier pendant trois ans. Elle doit ensuite le changer. Pour les catégories de femmes citées plus haut, cette méthode semble effectivement plus adaptée. Le DIU, quant à lui, est posé à l’intérieur de l’utérus. Il existe deux types de DIU : un qui diffuse des hormones ; et un en cuivre qui rend les spermatozoïdes inactifs. Le DIU est fonctionnel pendant 5 ans au minimum. Le DIU au cuivre est moins efficace que l’implant ou que le DIU hormonal, mais il présente un énorme avantage : celui de pouvoir être prescrit aux femmes qui ne peuvent pas prendre d’hormones (ce qui est le cas pour les femmes ayant eu une thrombose par exemple).

En ne renseignant pas correctement sa patiente sur les différentes contraceptions disponibles ou sur les examens qu’il est en train de réaliser, le médecin donne ici des informations qui ne sont pas à jour. Cela peut résulter d’un problème de formation du praticien s'il est jeune, mais les jeunes praticiens sont plus ouverts au DIU que les praticiens de longue date. Cela peut aussi résulter d’un manque d’autoformation de la part du praticien : les recherches scientifiques évoluant en permanence, le praticien doit se tenir au courant de ces dernières afin de ne pas donner des informations obsolètes. D’autre part, cela arrache à la femme une décision qui devrait lui appartenir car elle concerne son corps. En imposant un modèle contraceptif, on impose une contrainte ; en imposant la pilule, on impose le rappel quotidien de la fonction procréative du corps féminin.

Le contraceptif masculin, mis à part le préservatif, est exclu des discours sur la contraception sur la majorité du XXème siècle, cette dernière étant considérée comme « une affaire de femmes ». La fertilité masculine n’est pas vraiment prise en compte dans le processus de reproduction. On voit apparaitre le sujet de la contraception masculine vers les années 1990. Si le sujet apparait aussi tard, c’est avant tout dû à des habitudes culturelles. La recherche sur les contraceptifs masculins reste marginale et ne permet pas d’aboutir à une solution satisfaisante. Ces dernières années néanmoins, ce sujet revient sur le devant de la scène. Si le financement de la recherche reste trop modeste, on peut s’attendre à des avancées dans les années à venir. La contraception reste une affaire de femme, y compris dans les affaires d’avortement ou le rôle de l’homme reste insuffisamment pris en compte, cependant de plus en plus de femmes revendiquent une responsabilité partagée et de plus en plus d’hommes prennent conscience de cette dernière.

            S’il arrive si souvent que la première consultation donne lieu à des examens, C’est que l’on retrouve un schéma de consultation systématique au sein des cabinets gynécologiques. Cette dernière un frottis, un toucher vaginal (examen maintenant reconnu comme inutile dans la grande majorité des cas), et l'échographie endovaginale. L’histoire du corps de la patiente ne compte pas. Ces examens sont particulièrement invasifs, surtout si on prend en considération l'aspect intime de l'organe envahi. En même temps qu'une manière d'expédier la consultation en ne se posant pas plus de questions sur la patiente, étant donné que ces examens sont considérés comme nécessaire et suffisants, ils sont une manière de perpétuer des normes sociales que le médecin a appris bien entendu dans sa vie quotidienne mais qu’il a également intégré durant son cursus de médecine. Cela amène à des actes non justifiés médicalement, tels que des frottis sur de jeunes femmes sans nécessité médicale (le frottis n’étant pas nécessaire avant 24 ans et déconseillé avant 20 ans sauf cas particuliers) ; des frottis trop fréquents (ils ne sont nécessaires que tous les 3 ans mais bien souvent pratiqués tous les ans) ou encore des examens vaginaux sur des patientes qui ne viennent que pour un renouvellement de contraception orale et qui ont déjà fait les examens nécessaires.

            L’examen pelvien ou toucher vaginal est un des examens les plus pratiqués alors même que son inutilité a été prouvée. L’American College of Physicians (ACP) a mené une étude sur cette inefficacité. La population cible de cette étude était composée de femmes asymptomatiques, pas enceintes et adultes. L’ACP précise que de nombreuses femmes et de nombreux médecins croient que cet examen devrait faire partie de la visite annuelle de prévention pour chaque femme. L’étude a comparé les taux de mortalité dus au cancer du col de l’utérus sur cinq ans sans toucher vaginal, avec toucher vaginal, avec toucher vaginal et sonde endovaginale. Aucune réduction des taux de cancer associés au toucher vaginal n’a été observée. Aucune étude n’atteste de l’efficacité du toucher vaginal dans la réduction des taux de cancer et de mortalité liée à ce dernier. L’étude précise que cet examen peut provoquer de la peur, de l’anxiété, de l’embarras, de la douleur et de l’inconfort. Il peut également provoquer des douleurs physiques telles que des infections urinaires. Les femmes ayant subi un examen douloureux ou inconfortable sont moins susceptibles de retourner en consultation que celles pour lesquelles ça n’a pas été le cas. Ces risques sont augmentés lorsque la femme examinée a été victime de violences sexuelles, elles subissent plus de stress et de peur face à cet examen.

            Cet examen est communément pratiqué sur des femmes adultes, asymptomatiques et qui ne sont pas enceintes. Les preuves recueillies montrent que l’efficacité de cet examen dans la détection d’un cancer ovarien ou d’autres cancers relatifs à l’utérus et encore traitables est très basse et ne permet pas de diminuer les taux de mortalité liés à ce cancer. D’autres méthodes, telles que l’examen par sonde sont bien plus efficaces. Le toucher vaginal expose donc les femmes à des risques psychologiques inutiles.

 

            Une patiente ayant été victime d’abus sexuels par exemple aura surement beaucoup de mal à accepter une intrusion dans son intimité. Si le gynécologue procède alors tout de même à un frottis[6] contre sa volonté, soit par surprise soit par chantage, il peut faire ressurgir un traumatisme ou en créer un nouveau. L’objectif d’un tel examen est de détecter un potentiel cancer du col de l’utérus afin de protéger la santé et la fertilité de la patiente. On protège alors la santé physique de la patiente sans prendre en compte son histoire, sa psychologie, ses préférences et ses choix.

 La gynécologie revêt des masques multiples, à la fois protectrice du corps féminin, de sa santé et de sa liberté ; elle se montre contraignante en ce qui concerne l’obligation de visites annuelles. Elle se montre parfois punitive lorsque la femme dévie des normes du praticien. Libératrice à travers la contraception, elle peut également emprisonner la femme dans un étaux normatif. Si la troisième vague de féminisme considérait cette médecine dans son rôle libérateur ; notamment à travers la contraception et la péridurale ; elle a finalement créé à ce propos de nouvelles normes et de nouvelles brides. La vague de féminisme à laquelle nous assistons actuellement ; que nous pourrions appeler quatrième vague ; repense la gynécologie pour la pousser à permettre à toutes les femmes de vivre leur corps comme elles le souhaitent. Cela implique de repousser le paternalisme au sein du milieu gynécologique.

            La contraception est un des principaux problèmes saisis par cette quatrième vague de féminisme. Comme nous l’avons vu plus haut, la consultation dédiée à la contraception ne se déroule pas toujours selon les recommandations et l’information donnée n’est pas toujours optimale. Cependant, au-delà de ça, il arrive fréquemment que les femmes expérimentent des refus de contraception de la part du praticien. Deux contraceptions en particulier sont concernées, le dispositif intra utérin (DIU) anciennement appelé stérilet (et toujours nommé ainsi dans l’espace publique) et la ligature des trompes ou stérilisation. Ces refus témoignent encore de l’obligation sociale et normative d’enfanter ou de vouloir enfanter. Si le gynécologue refuse le DIU à la femme, et il en est de même pour la stérilisation, c’est parce qu’il présume que la femme va regretter son choix par la suite même si elle lui affirme le contraire. En agissant ainsi, le gynécologue suppose que la femme doit mettre au monde, il lui impose un système normatif et une certaine vision de la vie bonne, mettant ainsi de côté son droit à se définir elle-même en tant qu’être humain.

 

[1]

[2] D. BOUSQUET ; COURAUD Geneviève ; COLLET Margaux ; « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » ; HCE ; 26 juin 2018

[3] M. DECHALOTTE ; Le livre noir de la gynécologie ; éditions FIRST ; Paris ; 2017

 

[4] D.Gardey ; « Procréation, corps, sciences et techniques au XXe siècle » ; La découverte ; 2005

 

[5] HAS ; contraception : prescription et conseils aux femmes

[6] Le frottis est un examen gynécologique ayant pour but de détecter des cellules cancéreuses afin de prévenir le cancer du col de l’utérus. Il se fait à l’aide d’un spéculum ; sorte de pince à vis en métal ou en plastique qui sert à élargir le vagin ; et d’un écouvillon ; sorte de gros coton tige qui sert à aller recueillir par grattage les cellules du col.

Quand la seule contraception envisageable est un DIU cuivre et que le mec te dit : « Bah, quand vous serez stérile venez pas pleurer »[1]

 En 2013, Éléonore, âgée de 16 ans, vit à Toulouse avec sa mère. Elle a un petit ami depuis un an avec qui elle a des rapports sexuels. Le couple aimerait un moyen de contraception plus sûr et plus confortable que les préservatifs qu’ils utilisent habituellement. Prendre la pilule ne lui semble pas une bonne méthode : elle ne veut pas d’un contraceptif hormonal et elle craint de l’oublier. Elle opte pour le stérilet en cuivre. Sa mère l’engage à se renseigner sur la pose du stérilet et l’aide à contacter une gynécologue. Au téléphone, la praticienne confirme que, conformément aux recommandations de la HAS, elle pose des DIU sur les nullipares. Un rendez-vous est pris. Le jour de la consultation, Éléonore, accompagnée de sa mère, explique qu’elle souhaite une contraception « efficace et simple », un DIU en cuivre. La spécialiste la dévisage avec méfiance. Elle l’interroge : — Quel âge avez-vous ? — J’ai 16 ans. — Alors c’est impossible. — Pourquoi ?— Un stérilet, c’est dangereux quand on a plusieurs partenaires. Vous allez attraper tout un tas de maladies sexuellement transmissibles. — Mais je n’ai qu’un seul partenaire, proteste la jeune fille. — Á votre âge, je sais très bien comment ça fonctionne. Vous avez plusieurs partenaires. — Je suis avec mon copain depuis un an. On ne veut plus des préservatifs et je ne souhaite pas prendre la pilule. Comment on va faire ? [2]

Si les cas de refus de stérilisation sont pratiquement systématiques, les cas de refus de DIU sont très courants. Le nom trompeur de stérilet qui a été donné au DIU pendant des années a fortement nuit à sa réputation. Beaucoup de gynécologues et de femmes croient encore qu’il a un potentiel stérilisant, ce qui est faux. Dans tous les cas, et quand bien même le DIU rendrait effectivement stérile, ne serait-ce pas à la femme de prendre une décision finale en ce qui concerne son propre corps après information ?

            Le principal problème pour l’accès au DIU, c’est que les professionnels ne sont pas assez renseignés et entrainés sur ce moyen de contraception. En plus de la croyance persistante qui veut que ce dispositif rende stérile, les gynécologues ne sont pas assez bien entrainés à le poser et beaucoup refusent de le faire de peur que la pause soit trop douloureuse. Sur son site internet, Martin Winckler, gynécologue, auteur de l’ouvrage les brutes en blanc et militant pour l’accès au DIU met en lumière ce problème de la pause du DIU :

On poserait beaucoup plus de DIU si les médecins apprenaient à poser un DIU sans Pozzi. - Et à poser correctement un spéculum, d’ailleurs !!! Si on fait mal à la femme en lui posant le spéculum, tout le reste fera mal aussi !!! Le problème c’est que beaucoup de médecins (les femmes comme les hommes, malheureusement), ne gardent pas à l’esprit le fait que la zone à laquelle ils vont toucher est l’une des plus sensibles du corps. Personnellement, je ne l’oublie jamais.[3]

            Le problème du DIU est celui de la brutalité des examens. Winckler met en parallèle la pause du DIU et la pause du speculum, car dans les deux cas la brutalité du praticien peut non seulement causer une douleur physique à la patiente, mais également provoquer un choc psychologique. Cette difficulté lors de la pause met une barrière supplémentaire à l’accès du DIU, en plus de la croyance qu’il peut rendre stérile.

            Dans le cas de la stérilisation, si elle est si souvent refusée, c’est parce que les praticiens considèrent son côté irréversible comme un potentiel regret plus tard pour la femme. En agissant ainsi, le gynécologue suppose que la femme doit mettre au monde, il lui impose un système normatif et une certaine vision de la vie bonne, mettant ainsi de côté son droit à se définir elle-même en tant qu’être humain. La stérilisation volontaire est légale en France. Cependant, elle est tellement difficile d’accès qu’elle est rendue interdite par le corps médical. Seulement une dizaine de gynécologues la pratiquent. Si pour certaines femmes il serait catastrophique de ne pas ou ne plus pouvoir avoir d’enfants, d’autres le souhaiteraient. Pourquoi refuser aux femmes ce pouvoir sur leur propre corps ? Pourquoi continuer à considérer la stérilité comme une maladie lorsqu’elle est souhaitée ? Et pourquoi continuer à la considérer comme un drame pour les femmes qui ne la conçoivent pas comme telle ?

            La pilule reste très souvent imposée à la femme, comme nous l’avons déjà vu. Si la stérilisation et le DIU sont souvent refusés, ça peut être le cas également d’autres contraceptions telles que l’implant, qui est parfois refusé sous prétexte qu’il peut provoquer des saignements continus et qu’il se retire par incision ; l’éponge, le patch ainsi que tous les autres types de contraceptions moins conventionnelles que la pilule. Il existe à l’heure actuelle onze contraceptions féminines préservatif exclu[4]. Certaines, telles que l’anneau vaginal, sont très peu connues. Les deux raisons à la primauté de la pilule, qui peut convenir à certaines femmes mais possède de nombreux inconvénients et ne peut pas convenir à toutes les femmes, ce sont le manque d’information de la part des praticiens et le refus de prescription de la part des praticiens. Pourtant, le choix de la contraception est particulièrement important dans son efficacité. De plus, l’information sur la pilule en elle-même est insuffisante : ses effets secondaires sont nombreux et trop peu souvent détaillés dans les consultations. Le comportement à tenir en cas d’oubli, c’est-à-dire la prise de pilule du lendemain compilée à un test de grossesse quelques jours après, sont également trop souvent considérés comme déjà acquis et ne sont pas expliqué correctement.

 

I.La volonté de contrôler le corps des femmes et l’incitation à la maternité

 

            Cette normativisation de la contraception des femmes révèle aussi que la volonté de contrôler leurs corps et leur sexualité ne s’est pas totalement effacée. En refusant des contraceptions telles que le DIU (parce qu’il est réputé rendre stérile alors que, encore une fois, ce n’est pas le cas) ou la stérilisation volontaire révèle une volonté de maitriser la capacité à enfanter des femmes. En effet, le DIU est refusé principalement aux nullipares, mais encouragé chez les femmes qui ont déjà eu un ou des enfants et ne souhaitent plus en avoir. Les femmes sont incitées à prendre plus soin de leur utérus que de leurs autres organes, les visites chez le gynécologue sont annuelles, et souvent considérées comme plus importantes que d’autres visites de prévention recommandées telles que celles chez le dermatologue. C’est d’ailleurs en brandissant la menace de la stérilité (qui est une conséquence du cancer du col de l’utérus) que certains gynécologues arrivent à imposer le frottis à leurs patientes y compris lorsqu’elles en ont effectué un dans les trois années précédentes ou qu’elles sont très jeunes. La stérilité est présentée comme un drame pour toutes les femmes et derrière cela nous pouvons voir l’idée qu’une femme ne s’épanouit que dans l’enfantement.

Héritage hellénique et latin, diktats religieux, principes juridiques, vie familiale et hiérarchie sociale s’accordent à l’unisson pour faire de la maternité une étape obligatoire, et prétendument naturelle, de la vie des femmes.[5]

            Mais la volonté de contrôle du corps des femmes ne concerne pas seulement la maternité. Jusqu’en 1975, il n’y a finalement pas si longtemps que ça, il était interdit à une femme de divorcer là où c’était permis à un homme. Jusqu’à la fin du XXème siècle, l’infidélité était bien plus tolérée de la part des hommes que de celle des femmes. D’ailleurs, jusqu’à cette même date, l’infidélité était pénalement punie et ce plus sévèrement pour les femmes que pour les hommes. Toujours jusqu’en 1975, le fait que les violences commises se dirigent contre l’épouse est considéré comme une circonstance atténuante. Le viol conjugal n’est légalement reconnu et donc pénalisé qu’en 2010, il y a donc seulement dix ans. Les violences sexuelles dans le cadre du couple sont toujours mieux acceptées socialement que celles à l’extérieur du couple, alors qu’il n’y a aucune raison de différencier ces violences sexuelles qui restent des violences traumatisantes dans les deux cas. A l’heure actuelle, la sexualité des femmes n’est toujours pas considérée de la même manière que celle des hommes. Ainsi, un homme qui a de nombreuses relations avec les femmes sera qualifié au mieux comme un « don juan », un « tombeur » ou des termes approchants au pire comme un « chaud lapin » ou termes similaires, alors qu’une femme qui a de nombreuses relations avec des hommes sera qualifiée de manière bien plus méprisante au mieux comme une « fille facile » ou termes approchants au pire comme une « salope », « pute » ou termes approchants.

“Faut aussi arrêter d’être une salope”. Je suis en entretien pour faire un dépistage. J’explique avoir eu un plan cul et ne pas avoir été prudente (d’où mon désir de faire un dépistage). C’est la réponse que l’infirmière ou médecin m’a donné. J’ai cru qu’elle allait me refuser le droit au dépistage. Heureusement non. »[6]

 Si les hommes sont souvent perçus comme ayant des besoins sexuels irrépressibles, les femmes qui ont une sexualité libre sont dénigrées et mises au banc

On excuse plus facilement une certaine liberté sexuelle chez un homme que chez une femme. Mais une femme qui n’a pas du tout de sexualité sera également considérée d’un point de vue méprisant. Dans le cabinet médical, cela se traduira parfois par des gestes punitifs dont nous allons voire quelques témoignages. 

            Alya souffre d’une forme de mucoviscidose et est reconnue comme handicapée à 75%.  A cause de sa maladie, Alya souffre également de difficultés affectives et n’a pas de vie sexuelle.

En raison de sa maladie, elle est incontinente, et depuis l’âge de 3 ans, elle souffre de cystites chroniques avec saignements. En 2007, elle connaît une crise qui se prolonge. Le médecin l’envoie consulter en urgence un urologue. Des parents l’accompagnent mais restent dans la salle d’attente. Lors de sa consultation, le regard appuyé du médecin la met mal à l’aise. Elle lui expose ses maux et lui indique qu’elle est atteinte d’une maladie dégénérative depuis sa naissance. Mais le spécialiste n’y est guère sensible. Il s’agace de toutes ses pathologies, tourne en dérision ses infirmités urinaires, prétend qu’il ne peut rien pour un cas comme le sien mais accepte de lui faire une cystoscopie puisque c’est la demande du généraliste. Deux semaines plus tard, lors de la cystoscopie en bloc opératoire, profitant du retard de l’infirmière, l’urologue la terrorise par une attitude autoritaire. Il lui ordonne de se mettre sur la table « dans la position d’une jolie grenouille les pattes écartées et les mains derrière la tête », avant de la pénétrer sexuellement avec un doigt. « Alors, ça fait quoi quand je fais ça hein ? ça fait quoi là ? On ne répond rien, hein ? », la nargue le médecin en faisant aller et venir son index dans son vagin. Tétanisée par la peur, elle ne réagit pas. Il interrompt son geste au bout de quelques secondes en entendant l’infirmière arriver. Humiliée et honteuse, Alya ne parle à personne de cet épisode.

         Lors de son rendez-vous destiné à lui remettre les résultats, l’urologue se moque de son immaturité affective et sexuelle. « Vous savez, votre pouce là, au lieu de le sucer, vous pourriez en faire quelque chose de plus intéressant non ? Et vos doigts là, au lieu de les manger, vous devriez vous en servir pour vous faire du bien ailleurs. Ça vous détendrait. Vous êtes inhibée pour votre âge. La plupart des filles de 21 ans ne sont pas comme vous. Pensez-y. Essayez avec les doigts, vous verrez ça fait du bien. ». Depuis ces événements, Alya souffre de troubles du sommeil et de l’alimentation, de crises d’angoisse et d’anorexie, tandis que ses pathologies gynécologiques s’accentuent. [7]

Alya rencontrera d’autres viols, violences et maltraitances graves de la part des professionnels de santé au cours de sa vie. Sa situation en fait une proie facile. Elle tentera de porter plainte, mais subira des pressions de la part du conseil de l’ordre des médecins pour retirer ses plaintes, et ces dernières n’aboutiront jamais. Son témoignage sera mis en annexe de ce mémoire, son histoire étant trop longue pour être intégrée entièrement ici mais nécessitant une attention particulière.

Ce que l’on peut voire dans cette première violence subie par Alya, c’est tout d’abord un manque d’empathie du praticien envers sa situation. Alya ne rentre pas dans les normes, et il la traite comme si cela était de sa faute, comme si elle était responsable de son handicap. La seule raison pour laquelle il accepte de l’aider, c’est que c’est là la demande du généraliste. Il ne la traite pas comme son égale, mais comme si elle était de moindre valeur. Alya n’a pas de vie sexuelle, et cela semble choquer le praticien à son âge. Il va juger sa maturité et sa valeur sur cela et sur le fait qu’elle suce encore son pouce. Son geste, le viol, est une manière pour lui de la punir de ne pas rentrer dans les normes et de ne pas se comporter comme on l’attendrait d’une jeune femme.

 

Il y a 7 ans je me suis séparée d’un homme qui m’avait menti durant plus d’un an et demi. J’ai découvert qu’il était en couple avec des enfants et moi j’étais en réalité sa maîtresse. Pour me réapproprier mon corps et mon esprit, j’ai eu besoin d’avoir des relations charnelles. Par un site de rencontre, j’ai pris rendez-vous avec un homme. Ni lui ni moi n’avions de préservatif, je lui ai donc fait comprendre qu’il était hors de question d’avoir des relations ensemble sans protection. Il m’a répondu “ce n’est pas grave, tu sais faire autre chose avec ta bouche”. Je lui ai fait comprendre que rien ne se passerait entre nous durant la nuit (je ne pouvais pas rentrer chez moi, il n’y avait plus de transports en commun). Au petit matin je me suis fait réveiller par des mains qui tenaient mon corps et un pénis me pénétrant. Je suis en état de choc, je suis désorientée. Je fuis son appartement, Je me sens sale et fait tout pour oublier.

Trois mois et demi plus tard, je me plains de douleurs à l’estomac. Le médecin me prescrit une prise de sang pour vérifier si je suis en enceinte. “JE SUIS ENCEINTE” et pourtant mon corps n’a pas changé, j’ai mes règles et je n’ai pas pris de poids. Avec ma mère je vais à l’hôpital, deux médecins gynécologues m’accueillent, me font me déshabiller et m’installent sur les étriers. Je ne comprends pas pourquoi il y a deux médecins pour ma consultation. Je leur explique que ma dernière relation fut il y a un peu plus de trois mois, ils me regardent et me disent “oui oui c’est ça, c’est ce que l’on dit”. Ils me font la morale, et m’obligent à regarder l’échographie en m’indiquant qu’il est parfaitement formé, ils me font la description de ses membres, ils m’obligent à écouter le cœur du bébé en mettant le son. Ils me regardent, je suis toujours allongée sur le fauteuil et je pleure et ils me laissent seule. Par leur silence et leur regard ils me font sentir que je suis fautive et que je dois en payer les conséquences. Je leur explique que je souhaite avorter, ils me disent que c’est trop tard que j’ai dépassé de deux semaines la date légale. Je me rhabille, ils me disent qu’ils ne déclareront pas la grossesse et qu’ils ne me donneront pas les images de mon échographie. J’ai dû reprendre rendez-vous dans une clinique pour avoir les images nécessaires pour une interruption de grossesse à l’étranger.

Grâce au planning familial j’ai pu partir au Pays-Bas pour me faire opérer dans une clinique spécialisée. A 21 ans je n’aurais pu assumer seule un enfant créé dans des conditions que je n’arrive toujours pas à assumer.

J’en veux tellement à ces deux médecins qui n’ont fait qu’amplifier ma douleur, qu’augmenter ma détresse. Ils m’ont jugée sans connaitre mon histoire. Aujourd’hui encore j’ai du mal à en parler et je ne comprends pas, même humainement comment ils ont pu réagir ainsi.[8]

 

J’avais 21 ans, je vivais dans une petite colocation. Je vivotais avec des petits boulots de serveuses et finissait très difficilement mes fins de mois. J’ai une santé assez chaotique, avec des problèmes de digestion entre autres. Je venais d’arrêter une activité assez intense. La fatigue, les ballonnements et autres petits troubles digestifs ne m’ont donc pas franchement alerté vu qu’ils sont mon quotidien. Mais un soir, en rentrant du travail, je réalise que j’ai les pieds très gonflés et que je commençais à prendre du ventre anormalement. Je n’avais pas eu de rapport depuis plus de deux mois, j’avais eu mes règles ces deux mois-là, mais sachant que ma sœur était tombée enceinte et ne l’avait su qu’au bout de trois mois (ayant eu ses règles normalement aussi et pas de symptôme alarmant), j’ai fait un test de grossesse. Entre surprise et frayeur dans les toilettes de mon appartement, je découvre que je suis enceinte et cours immédiatement à l’hôpital. Cela n’a fait qu’un tour dans ma tête étant donné la date de mon dernier rapport sexuel… J’arrive donc paniquée aux urgences gynécologiques. Le décompte tournait dans ma tête et la terreur d’être trop avancée dans cette grossesse me terrorisait. Une infirmière me prend en charge au bout de quelques heures et m’accueille de façon franchement inhospitalière. Je lui explique ma situation. Elle semble me juger sans jamais prendre en compte ma détresse. Je devais être blanche comme un linge, tremblante de panique. Elle m’ausculte, sans aucune douceur, de façon abrupte, et m’annonce le verdict. J’étais enceinte de 2 mois et demi. C’est là que la situation est devenue complètement surréaliste et un peu traumatisante. Un médecin arrive. Les deux de l’autre côté du bureau m’interrogent comme si j’étais à un poste de police. Durant plus d’une heure ils ont tenté de me faire culpabiliser, de me poser des questions extrêmement déroutantes sur ma vie, mes choix de parcours. A de multiples reprises ils m’ont demandé assez violemment si je ne devais pas assumer d’avoir ce bébé puisque je n’avais rien fait jusque-là. Vu ma situation, avoir un enfant aurait été catastrophique non seulement pour moi mais aussi pour lui. J’ai eu beau leur expliquer que j’avais eu mes règles et pas de symptômes particuliers, ils semblaient ne pas vouloir me croire. C’est à partir de là que la situation est devenue un enfer. J’étais trop juste pour l’avortement (à cause du délai de réflexion d’une semaine) mais ils ont fini par accepter de m’aider (ils se rendaient sûrement compte que j’étais prête à aller jusqu'en Espagne en stop s’il le fallait pour trouver une solution). Jusque-là, au vu de l’avancement de ma grossesse, je pouvais encore comprendre leur comportement. Sauf qu’ils m’ont simplement remis des comprimés à prendre chez moi pour avorter. C’est tout. Malgré mes demandes d’information sur comment cela allait se passer, rien, pas une explication, pas un conseil, rien. Pas même des anti-douleurs ! Je suis rentrée dans un état second chez moi. J’ai demandé à ma colocataire de rester avec moi, ne sachant pas à quoi m’attendre. Et heureusement ! La douleur fut telle qu’elle a dû courir plusieurs fois chercher des anti-douleurs. J’ai dû en prendre pas mal de grammes mais cela atténuait à peine la douleur. C’était horrible, je ne savais même pas ce qui allait arriver. J’ai fini dans ma baignoire, pleurant et gémissante de douleur, à voir ce qui sortait être évacué avec l’eau…traumatisée (et ma colocataire avec moi). Ils ne m’avaient pas même donné un autre rendez-vous pour vérifier si tout allait bien. J’y suis allée de moi-même.

Heureusement que tout s’est bien passé ! enfin façon de parler…..Je n’ai pas consenti à ce qu’on ne me donne aucun conseil, aucun renseignement sur ce qui allait m’arriver, à me laisser dans des douleurs telles sans aucun anti-douleur de prescrit (heureusement que je n’étais pas seule). Je n’ai pas consenti à ce qu’on me traite comme une moins que rien pour une erreur de jeunesse et pour un droit qui est celui de mon corps. Je n’ai pas consenti à ce que des médecins et personnels soignants se permettent des comportements s’apparentant à une forme de punition barbare et des jugements moraux inacceptables. Ce non-respect du patient et de leur consentement s’apparente pour moi à de l’abus de pouvoir.[9]

            Ces deux témoignages sont issus du Tumblr « je n’ai pas consenti », qui compile des témoignages de femmes ayant subi des violences gynécologiques ou obstétricales. Ils racontent des expériences similaires : celles de deux jeunes femmes qui doivent faire face à une grossesse non désirée, comme cela arrive à une femme sur quatre en France. Chacune d’elle va rencontrer des professionnels de santé qui adopteront un comportement punitif face à leur grossesse.

            Dans le premier témoignage, l’auteure se justifie dès le début sur les raisons qui l’ont poussée à rencontrer un homme en ligne, on peut supposer qu’elle ressent déjà une forme de culpabilité face à la situation à laquelle elle a été confrontée. Les femmes victimes de viol font souvent face à ce phénomène. Elle est donc victime de viol, et se retrouve enceinte suite à cela. Elle décide de recourir à un avortement. Le fait que deux médecins s’occupent de son cas la dérange car cela expose une situation de laquelle elle semble déjà avoir honte à plus de personnes, de plus cela expose plus largement son intimité puisque les deux médecins vont participer à l’examen alors qu’elle est en position gynécologique. Les deux professionnels ne la questionnent pas sur les circonstances de sa situation et reposent la responsabilité uniquement sur elle. Il est fréquent, lors d’un avortement, que toute la responsabilité soit reportée sur la femme ; les questions de viol ne sont pas souvent abordées dans ce contexte. Cela rend la situation des victimes encore plus complexe, les fait encore plus culpabiliser ; alors même que les professionnels de santé dans ce contexte pourraient être (et devraient) des interlocuteurs privilégiés et représenter un premier pas vers une déculpabilisation. Lorsqu’elle affirme que ses derniers rapports remontent à trois mois, les deux médecins ne la croient pas et ne se privent pas de le lui dire. En faisant cela, ils sous-entendent que le simple fait qu’elle soit enceinte prouve qu’elle a des relations sexuelles fréquentes, et ils posent cela comme un problème. Ils décident de lui montrer les images de l’échographie, de lui faire écouter le cœur de l’embryon, ils lui disent qu’il est déjà parfaitement formé. La patiente remarque leur volonté de la faire culpabiliser et de lui faire payer les conséquences de quelque chose dont elle n’est pas responsable. Ils refusent de lui donner les images de l’échographie, et ils attendent la fin de l’examen pour lui dire qu’elle a dépassé la date légale et ne peut plus avorter.

            Dans le second témoignage, la patiente ne se rend compte de sa grossesse que tardivement. Le délai légal de trois mois concernant l’avortement est souvent remis en question. En effet, il n’est pas évident de se rendre compte de sa grossesse dans ce délai. Là encore, la patiente est culpabilisée. D’abord par l’examen brutal, qui est courant lors des demandes d’IVG, puis par les questions des médecins, qui ne sont pas compatissantes mais plutôt agressives. Les médecins refusent l’IVG dans un premier temps, invoquant la semaine de réflexion qui lui fait dépasser le délai légal. Or, dans le cas où la semaine de réflexion faisait dépasser à la patiente le délai légal, elle était supprimée par une procédure d’urgence. Puis les deux médecins lui remettent des pilules abortives. Ces pilules déclenchent une fausse couche. Or, ces pilules ne sont généralement pas utilisées après le premier mois de grossesse, car elles sont alors particulièrement douloureuses et que la patiente est susceptible de voir le fœtus expulsé qui commence à se former, ce qui peut être particulièrement traumatisant pour elle. Ici, on ne propose pas la méthode par aspiration à la patiente et on ne la met même pas sous surveillance à l’hôpital, alors que la méthode proposée à son stade de grossesse est particulièrement douloureuse et dangereuse ; ce que les médecins ne peuvent pas ignorer. Là encore, la volonté de faire souffrir la patiente peut être vue comme une manière de la punir.

 

 

Le point commun de ces témoignages, c’est qu’ils relatent des actes qui sont des violences sexistes perpétués dans l’objectif de punir la femme pour un comportement en lien avec sa sexualité qu’elle a eu. Le premier témoignage vient d’une femme en situation de handicap, le dernier d’une femme en situation de précarité financière. Dans un rapport édité en 2017, le HCE met en évidence les difficultés supplémentaires auxquelles peuvent faire face les femmes en situation de précarité. Des représentations négatives sont associées à cette catégorie de femmes. Cela se traduit par des pratiques professionnelles différentes, plus de brutalité et une infantilisation plus forte.

Ce même rapport donne de nombreux exemples de gestes maltraitants et en propose une classification. Il surligne la pratique d’actes chirurgicaux avec une anesthésie défaillante en l’absence d’urgence vitale (épisiotomies, sutures d’épisiotomie, délivrance artificielle, césarienne…), ce qui révèle une insuffisante prise en compte de la douleur des femmes qui se retrouve aussi par exemple dans les difficultés de diagnostique de l’endométriose. On rencontre également régulièrement dans les témoignages reçus par ce rapport des actes ou des refus d’actes non justifiés médicalement, tels que des frottis sur des femmes jeunes sans nécessité médicale, la récurrence du toucher vaginal, la palpation mammaire sur femmes jeunes et en parfaite santé. On rencontre également au sein des violences gynécologiques des pratiques tels que le point du mari, l’épisiotomie de routine sans nécessité médicale ou la pratique de l’expression abdominale. Ces pratiques sont dangereuses et douloureuses.

Les   actes   sexistes   durant   le   suivi   gynécologique   et   obstétrical   sont   des   gestes, propos, pratiques   et comportements exercés ou omis par un.e ou plusieurs membres du personnel soignant sur une patiente au cours du   suivi   gynécologique   et   obstétrical   et   qui   s’inscrivent   dans   l’histoire   de   la   médecine   gynécologique   et obstétricale, traversée par la volonté de contrôler le corps des femmes (sexualité et capacité à enfanter). Ils sont le fait de soignant.e.s — de toutes spécialités — femmes et hommes, qui n’ont pas forcément l’intention d’être maltraitant.e.s.[10]

 

Une autre étude a souligné que 23% des   demandes   d’interruption   volontaire   de   grossesse  (IVG) étaient   directement   liées   à   des   violences(viols, violences conjugales, violences familiales)

Seul.e.s les légistes apprennent ce que sont les violences sexuelles et les mutilations sexuelles, les gynécologues et obstétricien.ne.s ne bénéficiant d’aucune formation lors de leur cursus.

80% des étudiant.e.s ont indiqué n’avoir suivi aucune formation sur les violences (verbales, psychologiques, physiques et sexuelles) ;83,8% d’étudiant.e.s ne connaissaient pas le nombre de femmes violées par an et estimaient que 10 000 femmes sont violées par an alors qu’elles sont entre 75 000 et 120 000, 72,9% ne connaissaient pas le coût des violences commises sur les femmes et 70,4% ne connaissaient pas le nombre de viols sur mineur.e.s ;Les étudiant.e.s estiment pourtant que la.le médecin peut jouer un rôle « majeur» auprès des victimes de violences sexuelles (95%), physiques (93,2%), psychologiques (84,8%) et verbales (68,5%) ;Plus de 95% des étudiant.e.s se sont dit.e.s intéressé.e.s, voire très intéressé.e.s par une formation sur les violences (96%), le dépistage des violences (96%) et le traitement de leurs conséquences sur les victimes(95%).[11]

 

II.Médicalisation du corps et gestion de la douleur

 

L’accouchement a été pratiqué uniquement par les femmes durant des siècles. Puis, comme pour la gynécologie, l’obstétrique est tombée dans le domaine de la science et donc dans celui des hommes. Cependant, contrairement à la gynécologie, elle reste à l’heure actuelle une profession très masculinisée. Durant toute l’Antiquité et le Moyen-Age, l’accouchement est la tache des femmes. Les matrones ou accoucheuse acquièrent et transmettent un savoir obstétrique par la parole et l’expérience. Elles aident les parturientes à accoucher mais également à gérer leur douleur, à une époque ou bien entendu les dispositifs de diminution de la douleur tels que la péridurale n’existent pas. C’est vraiment l’expérience qu’ont les femmes du corps, le leur et celui des autres femmes qu’elles ont assisté, qui forme ce savoir autour de l’accouchement. A partir du XVIème siècle, la réputation des matrones est remise en cause par l’Eglise et l’Etat. On les soupçonne de pratiquer des avortements et de connaitre des techniques de contraception. On les appelle parfois « faiseuses d’anges », elles sont de plus en plus accusées de sorcellerie. L’avortement est alors considéré comme un infanticide. Elles sont mises sous la surveillance de sages-femmes assermentées par l’église. L’Eglise (et par extension l’état) encadre ainsi les pratiques liées au corps et à la naissance. C’est à ce moment que l’accouchement commence à sortir de la sphère de l’intime pour rentrer dans un cadre plus scientifique. Les médecins s’y intéressent de plus en plus. La grossesse reste une affaire de femmes, mais de plus en plus gérée par les hommes. Ce sont les hommes qui en parlent et qui l’enseignent, ceux de l’Eglise et les érudits. Le latin, langue de l’érudition, marque une frontière entre les matrones qui ne savent pas le lire et les médecins. Tout un pan des connaissances sur l’accouchement est ainsi interdit aux matrones, ainsi que tout un pan de son enseignement. Au XVIIIème siècle, le savoir technique et l’utilisation d’instruments liés à l’accouchement, tels que les forceps, semble réservés aux médecins. Le recours au médecin se généralise ainsi, augmentant la technicisation de ce savoir et écartant de plus en plus les accoucheuses. C’est également à cette époque que disparaissent progressivement les chaises d’accouchement, chaises en forme d’arc de cercle qui permettaient à la femme de s’asseoir pour accoucher, la praticienne accroupie devant elle réceptionnait l’enfant. La position en décubitus dorsal se démocratise alors, elle est plus pratique pour les praticiens mais bien plus inconfortable et difficile pour les parturientes. Elle empêche l’action de la gravité sur le travail. Le travail ainsi que la gestion de la douleur sont alors plus difficiles.

A l’heure actuelle, on tente de faire machine arrière sur la technicisation de la naissance.  De plus en plus de femmes souhaitent un accouchement plus naturel, plus à l’écoute de leur corps et moins médicalisé. En effet, en hôpital, l’accouchement est souvent provoqué artificiellement et plus tôt que prévu avec des médicaments, et cela principalement par manque de place et de temps. De plus en plus d’alternatives apparaissent, telles que des maisons de naissance, lieux agencés exactement comme une maison classique, avec sa chambre, sa cuisine et son salon, et proche d’un hôpital, qui permet aux femmes d’accoucher de manière naturelle mais néanmoins sous surveillance médicale grâce à la présence de sages-femmes et avec la possibilité de réagir vite en cas de complication grâce à la proximité avec l’hôpital.

Il existe une réelle volonté d’humaniser la naissance dans la profession, avec des salles d’accouchement plus chaleureuses, une volonté de promouvoir la physiologie... L’évolution se fait selon un mouvement de balancier : d’abord, les sages-femmes étaient les premières à s’occuper des accouchements, avec une volonté de privilégier le physiologique. Ensuite, les médecins ont « repris la main » sur les accouchements, et ont multiplié l’usage des forceps, des actes médicaux (césariennes, épisiotomies...), et ont transformé la naissance en quelque chose de très médical, chirurgical. À présent, il faut faire pencher à nouveau le balancier du côté de la physiologie, parce qu’il a été montré que trop de médicalisation des accouchements augmentait les risques pour les patientes. Il faut se donner les moyens pour aller plus loin dans la physiologie et l’humanisation.[12]

Au XVIème siècle, aux yeux de l’église, les positions autres que le décubitus dorsal pour l’accouchement sont bestiales voir indécentes (les femmes peuvent également accoucher à quatre pattes, ce qui est également une position plus confortable que celle du décubitus dorsal). On exploite ainsi au maximum les capacités de reproduction des femmes. L’historienne Christine BARD résume :

« Le sexe féminin est défini par son aptitude à la maternité et la femme dominée par sa matrice. Sa vie est rythmée par les grossesses, réputées débilitantes, et les menstruations, à l’origine de sautes d’humeur telles qu’elles justifient qu’on écarte les femmes de tout rôle public. Ni urne, ni tribune pour celles qui saignent tous les mois et portent les enfants. Éternelles malades, c’est à la fois pour protéger l’ordre public et les protéger elles-mêmes qu’il convient de les confiner à la maison. »[13]

            Jusqu’au XVIème siècle, donc, la connaissance autour du corps des femmes appartient presque exclusivement à ces dernières, puis petit à petit elles sont écartées de ce savoir. Le médecin, un homme, est alors présenté comme celui qui sait mieux, qui connait mieux le corps des femmes. Si, à l’heure actuelle, la profession de gynécologue s’est féminisée et l’obstétrique n’appartient plus aux hommes ; on garde cette image du médecin « qui sait mieux », qui « connait mieux le corps des femmes », et de fait de nombreuses femmes ne se questionnent pas sur la pratique gynécologique, l’utilité des examens, les causes de leurs douleurs (qui sont souvent minimisées), leurs options concernant leurs corps.

            Au XVIIIème et au XIXème siècle, les femmes sont présentées comme d’éternelles malades. La douleur est considérée comme leur état naturel. Catherine VIDAL et Muriel SALLE, co-autrices de l’ouvrage Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? parlent d’une « confusion entre le normal et le pathologique ». Les médecins ne prennent pas en compte les douleurs des femmes, ni celles des menstrues ni celles de l’accouchement, les considérant comme normales. Ainsi, l’endométriose, une maladie de l’utérus provoquant des lésions périphériques et donc des règles particulièrement douloureuses, n’est reconnue que depuis peu et peine toujours à être diagnostiquée. Elle n’est toujours pas reconnue comme une maladie invalidante, elle ne peut donc pas donner lieu à un arrêt de travail alors même qu’elle cloue certaines femmes au lit plusieurs jours par mois. De plus, le financement de la recherche la concernant est inexistant, et à ce jour il n’existe aucun remède mis à part des antidouleurs très puissants aux effets secondaires lourds et qui impliquent une somnolence, ils ne permettent donc pas aux femmes victimes d’endométriose de vivre une vie normale.

            Cette pathologisation du corps des femmes au XVIIIème siècle va jusqu’à l’invention de maladies telles que la « maladie des vierges », qui voudrait qu’une jeune femme qui présente un teint pâle, une certaine minceur et une certaine fatigue soit malade en raison du manque de relations sexuelles et donc ai besoin d’un mari. Les femmes sont ainsi infantilisées et le médecin placé comme sachant ce qui est bon pour elle. On les dépossède ainsi du contrôle de leur corps et du processus d’accouchement. Les médecins et les sages-femmes, encore à l’heure actuelle, « accouchent les femmes », on ne dit pas qu’ils « les aident à accoucher », comme si c’était eux, au final, qui mettaient au monde. La femme n’est ainsi plus actrice de l’accouchement.

« Élevée par sa beauté, sa poésie, sa vive intuition, sa divination, elle n’est pas moins tenue par la nature dans le servage de faiblesse et de souffrance. Elle prend l’essor chaque mois, et chaque mois la nature l’avertit par la douleur et par une crise pénible et la remet aux mains de l’amour. De sort qu’en réalité, 15 ou 20 jours sur 28 (on peut dire presque toujours) la femme n’est pas seulement une malade mais une blessée. »[14]

Le geste gynécologique reste ainsi trop peu couplé à la parole, à l’explication. Les examens sont pratiqués sans expliquer leur intérêt, et intégrés par les femmes comme ne pouvant pas être remis en question. En gynécologie, un comportement paternaliste de la part d’un médecin peut avoir des conséquences graves pour sa patiente. En effet, cette médecine comporte un caractère intime bien plus fort que beaucoup d’autres spécialités (nous n’affirmerons pas qu’il s’agit de la médecine la plus intime, car la psychologie ou l’urologie peuvent également être considérées comme telles ; de même que la chirurgie qui implique une exploration interne du corps des individus). D’autre part, en médecine, le corps est bien souvent dissocié de l’esprit alors que le lien entre les deux est particulièrement évident en gynécologie. Il arrive souvent, par exemple, que des examens intimes soient pratiqués sur des patientes sans leur consentement. Ces examens, menés à l’endroit le plus intime du corps féminin, peuvent alors donner à la femme la sensation de perte de contrôle de son corps et de sa sexualité. Car même si certains gynécologues affirment qu’ils ne voient dans l’intimité féminine aucune sexualité et seulement un corps duquel prendre soin, ce n’est pas le cas de la femme qui vient chez le gynécologue. Et c’est en partie cet écart entre la conception qu’a le praticien du corps-chair et celle qu’a la femme du corps-moi qui pose problème. La femme est démembrée, séparée entre son corps et son esprit aux yeux du praticien et privée de l’appropriation de son propre corps. 

Le caractère intime de la consultation gynécologique n’est pas assez pris en compte. Les gestes pratiqués par le praticien ne sont pas anodins et peuvent être perçu par la patiente comme sexuels, que ce soit le cas ou non. On touche les zones sexualisées de la patiente, son sexe et sa poitrine. Les conditions d’examen peuvent également s’avérer humiliantes : la nudité complète, si elle n’est pas nécessaire, est souvent demandée à la patiente ; les jambes sont écartées à hauteur de vue du médecin, les pieds mis dans des étriers. On peut pourtant mettre en place des solutions pour diminuer la gêne de la patiente, par exemple en ne lui demandant pas d’enlever son haut. Sur le Tumblr « je n’ai pas consenti », on trouve également le témoignage positif d’une jeune femme qui explique que la gynécologue a posé une feuille sur son sexe lors de l’examen, préservant ainsi son intimité. La question du non-respect de l’intimité ne concerne pas que la nudité complète et le cabinet de gynécologie, mais également des conditions qui entourent l’accouchement et l’avortement. A l’hôpital, il est fréquent que les médecins entrent sans frapper dans la chambre des femmes qui viennent d’accoucher, ou de celles qui viennent d’avorter. On a également vu dans les témoignages qu’il arrive que plusieurs médecins participent à l’examen de la patiente, exposant ainsi plus sa nudité. De même, dans le cas de saignements, les soignants posent des serviettes absorbantes sous les fesses de la femme là où ils pourraient tout simplement la laisser faire ce geste, là encore afin de préserver son intimité.

« Quelqu’un.e qui n’est pas sympathique, qui vous houspille ou qui vous trimballe à moitié nue sur un brancard dans toute la maternité, c’est maltraitant. »[15]

Cet irrespect de l’intimité des patientes témoigne d’une mise à disposition de leur corps. En 2015, des documents de la faculté de médecine de Lyon sont publiés dans l’espace publique. Ils révèlent que, dans le cadre de leurs études, il est demandé aux étudiants de pratiquer des touchers vaginaux sur des patientes endormies au bloc opératoire, et ce sans qu’elles ne soient préalablement mises au courant et donc sans leur consentement. L’intimité de ces patientes est donc exposée, mise à disposition, de plusieurs étudiants qui non seulement les voient nues mais en plus examinent leur sexe. La faculté de Lyon s’était alors défendue en arguant la nécessité de pratiquer ces examens que les étudiants s’entrainent. Le message qu’ils avaient alors fait passer était que le respect du corps des patientes, la propriété de leur corps, était moins importante que la formation des médecins. D’autre part, cela démontre un sérieux problème d’enseignement puisque ce qui est enseigné aux étudiants à ce moment-là, ce n’est pas seulement l’anatomie féminine mais également que le consentement de leurs patientes n’est pas une donnée importante.

 

Le cabinet devrait pourtant être un lieu de discussion et d’échange de connaissances. On fait porter aux femmes une responsabilité énorme et unilatérale vis-à-vis de leur corps. Être une femme, cela signifie aller une fois par an chez le gynécologue, sans même être malade, seulement à but préventif. C’est être astreinte, tous les jours, tous les trois ans, tous les cinq ans ou tous les trois jours selon la méthode à penser à sa contraception. C’est souvent surveiller son cycle. C’est se questionner, guetter les signes de grossesse et faire un test au moindre retard inhabituel. C’est prévoir, une fois par mois, de saigner et d’avoir mal, et de gérer sa journée, son travail, ses tâches quotidiennes avec cela. Ce sont des contraintes intégrées, acceptées très souvent et sur lesquelles on responsabilise très peu les hommes. Et malgré ces contraintes, on renseigne mal les femmes sur leurs corps et les solutions qui s’offrent à elles. Nous avons déjà parlé de la contraception, mais la gestion des menstrues est un autre exemple d’un manque d’information. Depuis quelques temps, nous entendons enfin parler des risques des protections périodiques, qui contiennent du chlore et peuvent provoquer, dans le cas des tampons, des chocs toxiques qui peuvent être mortels. Comme pour la contraception, il existe de multiples alternatives concernant les menstrues. Si la communication autour de ces moyens se démocratise, elle se fait notamment via la publicité plutôt que dans le cabinet gynécologique. Ainsi, des méthodes telles que le flux tendu restent relativement peu connues.

Aller chez le gynécologue ne suppose pas de lui accorder notre entière confiance et de lui déléguer notre corps. Pour autant, cela ne suppose pas non plus de lui demander d’agir selon notre bon vouloir uniquement. Henri Bergeron [16]distingue quatre modèles de relation médecin patient. Il en existe surement bien plus, mais ces distinctions sont particulièrement pertinentes et montrent qu’il n’existe pas seulement un modèle de médecine paternaliste et un autre libéral, mais que tout un spectre relie les deux. Le modèle informatif permet de donner au patient tous les éléments dont il a besoin pour prendre une décision le concernant, combinant ainsi l’expertise du médecin et le vécu du patient. Les valeurs du patient et les connaissances du médecin construisent la décision. Mais si le patient est informé des options qui s’offrent à lui, le médecin ne l’est pas sur les valeurs de son patient. Bergeron précise que le rôle du médecin dans ce modèle se limite à fournir au patient les moyens d’exercer sa pleine autonomie. Le modèle interprétatif laisse plus de place à l’écoute puisque le médecin va alors s’efforcer de révéler les valeurs du patient, le poussant à une sorte de débat avec lui-même pour que la décision résulte d’une réflexion. Dans le modèle délibératif, enfin, le médecin délibère des valeurs du patient ; fait une véritable place à la discussion et au débat. Il fait en sorte de maximiser l’autonomie du patient en le poussant à adopter des valeurs réfléchies pour lui-même qui lui sont propres.

Il est possible de créer une réelle relation de confiance et d’échange entre gynécologue et patiente, relation qui faciliterait alors les soins, et qui permettrait à la patiente d’avoir un rapport à son corps plus libre, de lui redonner du contrôle en quelque sorte. Il n’est pas forcément évident de discuter des violences sexuelles subies. Mais le médecin peut éventuellement deviner, dans le langage non verbal de la patiente, dans sa peut des examens par exemple, qu’elle en a été victime. Il peut alors poser la question sans insister. Par exemple, ce que le praticien peut faire dans le cas où une patiente refuse un frottis alors qu’elle est une patiente à risque, c’est introduire de la narrativité dans sa pratique, tenter de comprendre le refus de la patiente, lui proposer des solutions et la mettre au courant des risques qu’elle prend. La patiente ne devrait pas être considérée comme moins apte que le médecin à prendre des décisions sur sa santé. Le médecin n’a pas plus d’éléments qu’elle pour prendre des décisions la concernant. Certes, il connait le fonctionnement du corps. Certes, il a étudié de nombreuses années pour apprendre l’art de soigner. Mais le soin ne se résume pas à réparer le corps comme si ce dernier était une machine complexe. Le prendre soin suppose aussi de veiller aux besoins de l’autre, aux nécessités qui lui sont intrinsèques. Pour cela, il faut écouter l’autre, le prendre en compte. Le soin repose sur l’attention portée à l’autre, et donc à la prise en compte de ses décisions. Car la patiente dispose aussi d’un savoir qui permet une prise de décision : un savoir sur elle-même, sur ses attentes, sur son corps ; et le simple fait qu’il s’agisse de son propre corps lui donne le droit immuable de décider. En faisant une balance entre l’écoute, l’empathie et la discussion ; le médecin peut mettre en confiance la patiente et faire du cabinet un espace d’écoute, en remettant ainsi le patient au centre de la médecine.

Pour Sophie GUILLAUME, présidente du Collège national des sages-femmes de France (CNSF), le fait même de toucher le ventre d’une femme peut la mettre mal à l’aise voire réveiller des traumatismes. C’est pourquoi, elle s’assure du consentement des femmes pour tous les gestes pratiqués : « Plutôt que de dire “je vais toucher votre ventre pour voir comment va votre bébé”, je dis plutôt ”Est-ce que je peux...”. Dans 95% des cas, la femme me répondra ”oui, bien sûr !”, et il n’y aura peut-être que 5% d’entre elles qui me diront ”non, je ne préfère pas”. Mais dans ces cas-là, il faut prendre le temps d’écouter ces femmes car il sera nécessaire d’adapter le parcours de grossesse. »[17]

 

Depuis quelques années, des voix s’élèvent contre les violences gynécologiques et obstétricales. Pourquoi seulement maintenant, alors que ces violences existent depuis bien plus longtemps ? Internet fait surement partie de la réponse.

Depuis plusieurs années, les témoignages de femmes se multiplient dénonçant un suivi gynécologique porteur d’injonctions sexistes, des actes médicaux non nécessaires pendant l’accouchement voire des violences sexuelles dans le cadre du suivi gynécologique et obstétrical. Ces témoignages, partagés sur Twitter, des tumblers, des blogs ou dans les médias ont notamment émergé, en France, après le lancement du hashtag #PayeTonUtérus, fin 2014, mentionné par plus de 7000 tweets en 24 heures. Les faits dénoncés par les femmes ont été regroupés sous l’appellation « violences gynécologiques et obstétricales », expression, apparue en Amérique latine aux débuts des années 2000, qui a permis de faire émerger une réflexion féministe sur la spécificité des maltraitances subies, par les femmes, dans le cadre de la relation de soins.[18]

L’anonymat que cet outil garantit permet à des femmes de révéler des violences dans l’espace publique sans pour autant que leur entourage ne soit au courant des violences subies. De plus, la diffusion est bien plus large puisqu’elle ne touche plus seulement quelques individus qui entourent la victime ou font partie du procès, mais peuvent toucher n’importe qui. Une communauté de victime de violences obstétricales et gynécologiques s’est ainsi créée sur Internet, permettant aux femmes de trouver une écoute et un soutient. Mais c’est un outil à double tranchant, car ce même anonymat permet d’écrire des mots extrêmement violents aux femmes déjà victimes de violences.

Dans le cabinet du praticien, la patiente est vulnérable. Elle l’est à partir du moment où elle pousse la porte. Le cabinet gynécologique est une hétérotopie ; un lieu hors des lieux. Dans une conférence datant de 1966, Foucault parle des utopies “qui ont un lieu précis et réel” et les nomme hétérotopies.  Le cabinet en est un car il est un lieu absolument autre. On n’en parle pas, ou discrètement, avec des amies ou à sa fille. Il est réservé aux femmes : rares sont les hommes qui savent ce qui se trame derrière sa porte close. On n’en parle pas, ou à la dérobée, et c’est dans le tabou que réside la vulnérabilité de la femme qui clôt la porte derrière elle. Nous avons vu les multiples rôles que peut prendre la gynécologie, ils correspondent aux multiples facettes de cette hétérotopie. Rite de passage de l’âge adolescent au statut de femme, lieu de libération, rappel et émancipation de la condition biologique de la femme ; ce lieu a irrémédiablement un pouvoir sur elle. Lorsqu’elle s’allonge sur la table d’examen, les pieds dans les étriers, la vulnérabilité est totale. Elle ne peut pas se relever d’un coup, et les étriers agissent presque comme des liens, lui rappelant son obligation de rester ainsi ; en décubitus dorsal. Cette position gynécologique est de plus en plus critiquée. Elle est tout d’abord humiliante, les jambes écartées, à la merci du praticien, la femme lui montre l’intégralité de son anatomie : le nécessaire et le non nécessaire. Elle est également, en quelque sorte, dangereuse : le médecin peut alors lui faire tous les examens qu’il souhaite, et ce sans son consentement s’il le souhaite car elle ne peut pas réagir rapidement. En Angleterre, les examens gynécologiques se font sur le côté en chien de fusil, c’est moins pratique pour le gynécologue mais bien plus confortable et moins humiliant pour la femme.

Le médecin fait partie du lieu, du cabinet gynécologique. Dans cette position du décubitus dorsal il domine physiquement la patiente, image de la relation asymétrique entre eux deux. Le médecin bénéficie d’une certaine reconnaissance sociale. Respecté grâce aux études qu’il a menées, au savoir acquis, il dispose d’un pouvoir qui est presque politique. Le médecin est un sachant, il est considéré comme tel. La patiente, elle, reste ignorante. Ignorante de ce qui est nécessaire ou non, tout d’abord. En effet, comment la patiente pourrait-elle savoir qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer un frottis avant vingt-cinq ans ni de l’effectuer tous les ans quand l’espace publique clame le contraire ? Comment pourrait-elle savoir que le toucher vaginal est un examen généralement inutile ? Pour acquérir ce type de connaissances, il faut faire des recherches, lire de longues recommandations d’organismes tels que la Haute Autorité de la Santé. Or, il serait utopique de penser que toutes les femmes ont le temps d’effectuer de telles recherches. Et ce n’est d’ailleurs pas à elles de le faire. C’est d’abord au médecin de se renseigner et de l’informer, puis à l’espace publique de lui donner les éléments nécessaires si le médecin ne remplit pas cette tâche.

                        Les violences sexuelles ont des impacts graves sur la vie des femmes. D’abord sur leur santé physique, puisqu’un examen non consenti par exemple, qui correspond à la définition pénale du viol, en a les mêmes conséquences sur le corps. Il peut provoquer des irritations, des douleurs voir des infections. Dans le cas d’une épisiotomie qui n’est pas nécessaire, la femme va avoir mal pendant un certain temps, aura du mal à porter des jeans, à s’asseoir, ne pourra pas avoir de relations sexuelles sans douleur, et là encore il existe un risque d’infection. D’autre part, ces actes ont également de gros impacts psychologiques, ils peuvent provoquer un trouble post traumatique, des difficultés dans la vie sexuelle et une peur du suivi qui peut pousser les femmes à abandonner tout suivi gynécologique voir médical. La prise en charge de ces troubles reste encore largement insuffisante, et trop peu de solutions sont proposées aux femmes victimes de maltraitance gynécologique ou de violences sexuelles.

Des conséquences d’autant plus graves pour les femmes antérieurement victimes de violences sexuelles. Les femmes ayant vécu, par le passé, des violences sexuelles sont par ailleurs d’autant plus impactées que les actes sexistes vécus dans un parcours de soin gynécologique et obstétrical peuvent « faire remonter des violences ou des traumatismes anciens » selon Anne EVRARD, co-présidente du CIANE.« Ce n’est pas parce qu’elles ont été victimes de violences par le passé qu’elles vivent ces situations comme une violence, c’est bien une violence supplémentaire. Une femme sur 10 est victime de violence conjugale, alors que très peu de médecins posent la question de l’existence   de   violences   conjugales   ou   sexuelles.   Les   conséquences   d’une   violence gynécologique ou obstétricale, en plus de ces traumatismes, peuvent être désastreuses. » Anne EVRARD, co-présidente du CIANE[19]

            La gynécologie et l’obstétrique ont très longtemps été des médecines de femmes pour les femmes, à un moment de l’histoire où les rôles genrés étaient particulièrement tranchés. Puis elle est tombée dans le domaine de la science, domaine masculin. Elle a servi, plus tard, à libérer les femmes des contraintes de leurs corps sans pour autant les effacer totalement. L’impact du sexisme dans les études de médecine se répercute sur les pratiques médicales. Ces éléments font de la gynécologie et de l’obstétrique des médecines à la foi au service des femmes et paradoxalement servant au contrôle de leur corps.

 

 

 

Bibliographie

[1]       « 104000047.pdf ». Consulté le: oct. 15, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000047.pdf.

[2]       « Agnès Buzyn dénonce le harcèlement sexuel qu’elle a subi lorsqu’elle était médecin », Le Monde.fr, oct. 22, 2017.

[3]       G. Maciocia, « Chapitre 1 - La psyché en médecine chinoise », in La Psyché en Médecine Chinoise, G. Maciocia, Éd. Paris: Elsevier Masson, 2012, p. 1‑13.

[4]       L. Guyard, « Chez la gynécologue », Ethnologie francaise, vol. Vol. 40, no 1, p. 67‑74, janv. 2010.

[5]       C. Moreau, J. Desfrères, et N. Bajos, « Circonstances des échecs et prescription contraceptive post-IVG : analyse des trajectoires contraceptives autour de l’IVG », Revue francaise des affaires sociales, no 1, p. 148‑161, juin 2011.

[6]       « Clause de conscience des médecins - MACSF ». https://www.macsf.fr/responsabilite-professionnelle/Relation-au-patient-et-deontologie/clause-de-conscience-medecins (consulté le oct. 15, 2020).

[7]       « Code de déontologie médicale - Légifrance ». https://www.legifrance.gouv.fr/codes/texte_lc/LEGITEXT000006072634/2004-08-07/?isSuggest=true (consulté le oct. 15, 2020).

[8]       « Collection Témoignages : Maltraitance gynécologique », France Culture. https://www.franceculture.fr/emissions/l-heure-du-documentaire/collection-temoignages-maltraitance-gynecologique (consulté le oct. 15, 2020).

[9]       « Comment peut-on être paternaliste ? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient | Cairn.info ». https://www-cairn-info.ezproxy.u-pec.fr/revue-raisons-politiques-2003-3-page-59.htm (consulté le oct. 15, 2020).

[10]     « contraception_freins_reco2clics-5.pdf ». Consulté le: oct. 15, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2013-05/contraception_freins_reco2clics-5.pdf.

[11]     A.Barthes, « curriculum caché », in Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, l’harmattan, 2017.

[12]     N. Bajos et M. Ferrand, « De l’interdiction au contrôle : les enjeux contemporains de la légalisation de l’avortement », Revue francaise des affaires sociales, no 1, p. 42‑60, juin 2011.

 [14]    P. Touraille, « Du désir de procréer : des cultures plus naturalistes que la Nature ? », Nouvelles Questions Feministes, vol. Vol. 30, no 1, p. 52‑62, 2011.

[15]     A. Fagot-Largeault, « [Entretien]. Un regard de philosophe sur le statut de l’embryon et de l’interruption volontaire de grossesse », Revue francaise des affaires sociales, no 1, p. 61‑67, juin 2011.

[16]     S. C. Mahood, « Formation médicale », Can Fam Physician, vol. 57, no 9, p. e313‑e315, sept. 2011.

[17]     P. Delion, « Franchir le tabou du corps en psychiatrie », L’information psychiatrique, vol. Volume 85, no 1, p. 15‑25, 2009.

[18]   « hce_les_actes_sexistes_durant_le_suivi_gynecologique_et_obstetrical_20180629-2.pdf ». Consulté le: oct. 15, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_les_actes_sexistes_durant_le_suivi_gynecologique_et_obstetrical_20180629-2.pdf.

[19] « hce_les_actes_sexistes_durant_le_suivi_gynecologique_et_obstetrical_20180629.pdf ». Consulté le: oct. 15, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_les_actes_sexistes_durant_le_suivi_gynecologique_et_obstetrical_20180629.pdf.

 

[21]     C. Béal, « John Stuart Mill et le paternalisme libéral », Archives de Philosophie, vol. Tome 75, no 2, p. 279‑290, mai 2012.

[22]     N. Bajos et M. Ferrand, « L’interruption volontaire de grossesse et la recomposition de la norme procréative », Societes contemporaines, vol. no 61, no 1, p. 91‑117, sept. 2006.

[23]     « La pose d’un DIU est-elle toujours douloureuse ? » https://www.martinwinckler.com/spip.php?article472 (consulté le oct. 15, 2020).

[24]     R. Ogien, La vie, la mort, l’État. ERES, 2011, p. 251‑262.

[25]     O. Giraud et B. Lucas, « Le care comme biopouvoir », Travail, genre et societes, vol. n° 26, no 2, p. 205‑210, nov. 2011.

[26]     C. Béal, « Le paternalisme peut-il être « doux » ? Paternalisme et justice pénale », Raisons politiques, vol. n° 44, no 4, p. 41‑56, 2011.

[27]     G. Cresson, « Les hommes et l’IVG, » Societes contemporaines, vol. no 61, no 1, p. 65‑89, sept. 2006.

[28]     « Les violences obstétricales et gynécologiques (VOG) : définition de l’IRASF », IRASF - Institut de Recherche et d’Actions pour la Santé des Femmes. https://www.irasf.org/definition-violences-obstetricales-gynecologiques/ (consulté le oct. 15, 2020).

[29]     « Maud Gelly Avortement et contraception dans les é… – Recherches féministes – Érudit ». https://www.erudit.org/fr/revues/rf/2007-v20-n2-rf2109/017619ar/ (consulté le oct. 15, 2020).

[30]     « Perrenoud - Curriculum : le formel, le réel, le caché ». http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1993/1993_21.html (consulté le oct. 15, 2020).

[31]     L. Olier, « Présentation du dossier. La prise en charge de l’IVG en France : évolution du droit et réalités d’aujourd’hui », Revue francaise des affaires sociales, no 1, p. 5‑15, juin 2011.

[32]     S. Dugast, N. Winer, et S. Wylomanski, « Prise en charge sexologique des femmes excisées : expérience nantaise, France. Étude préliminaire », Sexologies, vol. 26, no 4, p. 213‑221, oct. 2017, doi: 10.1016/j.sexol.2017.09.006.

[33]     « Quarante ans après, le droit à l’IVG défendu à nouveau | Philosophie Magazine ». https://www.philomag.com/articles/quarante-ans-apres-le-droit-livg-defendu-nouveau (consulté le oct. 15, 2020).

[34]     C. Debest, M. Mazuy, et l’équipe de l’enquête Fecond, « Rester sans enfant : un choix de vie à contre-courant », Population & Sociétés, vol. N° 508, no 2, p. 1, 2014, doi: 10.3917/popsoc.508.0001.

[35]     « Debest et al. - 2014 - Rester sans enfant  un choix de vie à contre-cour.pdf ». Consulté le: oct. 15, 2020. [En ligne]. Disponible sur: https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/18704/population_societes_2014_508_choix_sans_enfant.fr.pdf.

[36]     A. Qaseem, L. L. Humphrey, R. Harris, M. Starkey, et T. D. Denberg, « Screening Pelvic Examination in Adult Women: A Clinical Practice Guideline From the American College of Physicians », Annals of Internal Medicine, vol. 161, no 1, p. 67‑72, juill. 2014, doi: 10.7326/M14-0701.

[37]     M. FLORENCE ; D. TERRY ; L. MARGARETS et al ; « Stories from the Field: Students’ Descriptions of Gender Dis... : Academic Medicine ». https://journals.lww.com/academicmedicine/Fulltext/2006/07000/Stories_from_the_Field__Students__Descriptions_of.11.aspx (consulté le oct. 15, 2020).

 

[38] M. DECHALOTTE ; Le livre noir de la gynécologie ; éditions FIRST ; Paris ; 2017

 

 

[1] Twitter, #PayeTonUtérus

[2] M. DECHALOTTE ; Le livre noir de la gynécologie ; éditions FIRST ; Paris ; 2017

 

[3] M.Winckler ;    « La pose d’un DIU est-elle toujours douloureuse ? » https://www.martinwinckler.com/spip.php?article472 (consulté le oct. 15, 2020).

 

[4] https://www.choisirsacontraception.fr/trouver-la-bonne-contraception/quelle-est-la-meilleure-contraception/quelques-reperes.htm

[5]M. DECHALOTTE ; Le livre noir de la gynécologie ; éditions FIRST ; Paris ; 2017

 

 

[6] Twitter  #Paye ton gynéco

[7] M. DECHALOTTE ; Le livre noir de la gynécologie ; éditions FIRST ; Paris ; 2017

 

 

[8] Tumblr je n’ai pas consenti

[9] Tumbler « je n’ai pas consenti »

[10]  D. BOUSQUET ; COURAUD Geneviève ; COLLET Margaux ; « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » ; HCE ; 26 juin 2018

[11]  D. BOUSQUET ; COURAUD Geneviève ; COLLET Margaux ; « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » ; HCE ; 26 juin 2018

[12]  GARDEY Delphine ; « Procréation, corps, sciences et techniques au XXème siècle » ; in MARUANI Margaret (dir.) ; Femmes, sexe, genre. L’état des savoirs ; Paris ; La Découverte ; 2005

[13] M. DECHALOTTE ; Le livre noir de la gynécologie ; éditions FIRST ; Paris ; 2017

 

[14] DUPAQUIER, Jaques. Histoire de la population française (vol. 4), PUF, 1988136

[15] BOUSQUET Danielle ; COURAUD Geneviève ; COLLET Margaux ; « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » ; HCE ; 26 juin 2018

 

[16] BERGERON Henri ; Les transformations du « colloque singulier » médecin/patient : quelques perspectives sociologiques ; Colloque Les droits des malades et des usagers du système de santé, une législature plus tard ; 2007

[17]  BOUSQUET Danielle ; COURAUD Geneviève ; COLLET Margaux ; « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » ; HCE ; 26 juin 2018

[18]  BOUSQUET Danielle ; COURAUD Geneviève ; COLLET Margaux ; « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » ; HCE ; 26 juin 2018

[19] BOUSQUET Danielle ; COURAUD Geneviève ; COLLET Margaux ; « Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical » ; HCE ; 26 juin 2018

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