L'erreur et l'aléatoire
- Lola Lefevre
- 26 juil. 2021
- 5 min de lecture
Les rêves perdus
Que souhaitiez-vous faire lorsque vous étiez enfant?
Moi je voulais être écrivain. Ou paléontologue.
Je trouve que nos rêves d'enfants sont toujours un excellent indice de ce que nous souhaitons vraiment faire, de ce pour quoi nous sommes faits.

Ce n'est que mon avis, mais je pense que nous avons chacun un talent; quelque chose que nous faisons bien et que nous aimons faire. Les japonais appellent cela l'Ikigaï.
Pour ma part j'avais abandonné ce rêve d'enfant de devenir écrivain. Tout le monde me disait la même chose: trop complexe; trop d'obstacles. On ne gagne pas sa vie en écrivant; ni en faisant n'importe quelle autre forme d'art. Ça, c'est réservé à des nantis qui peuvent se permettre de ne pas travailler.
DARE ME!!!
Bon c'est vrai; la vie a eu, pendant un instant, raison de mon rêve. J'ai écrit très tôt; dès que j'ai su écrire à vrai dire. Je vous parlerais peut être un jour de ce chef-d'œuvre de mes huit ans qu'était Les monstres de la plage; nouvelle délicieusement régressive. Ma mère a encore des dossiers; mes premiers textes ne sont (malheureusement) pas perdus. L'écriture me venait comme cela, sans que j'ai à forcer. Bon; voyons les choses en face; ce n'était pas toujours du meilleur gout. Mais à force d'écrire et de dévorer les livres; la littérature devint une seconde nature. Si bien que, arrivée à l'adolescence, j'ai gagné quelques concours de nouvelles départementaux.
Puis je suis rentrée à la fac. Comme j'aime faire les choses en grand et de manière particulièrement irrationnelle; je me suis engagée dans un parcours lourd: une double licence histoire et philosophie. Qu'est-ce que je souhaitais faire après cela ? Eventuellement enseignante-chercheuse. Et si ça ne fonctionnait pas?
Et spoiler alerte.... Eh bah ça a pas fonctionné.
Avec trente deux heures de cours par semaine et un petit boulot le week-end; j'avais à peine le temps de rendre mes travaux (d'ailleurs merci à ce prof qui, sans aucune pitié pour les double-licences, nous donnait un commentaire de texte d'au moins cinq pages à faire par semaine. Noté). Il n'était donc absolument pas question d'entretenir ma passion pour l'écriture d'invention. Out.
Et comme beaucoup d'étudiants; j'ai fini par prendre mon propre appartement. En même temps; j'ai commencé un master en philosophie. J'étais débarrassée du double cursus; mais je devais travailler plus pour payer mon appartement sans la bourse que le CROUS n'a jamais voulu m'accorder. Toujours pas de place pour l'écriture d'invention.
Jusqu'au jour où j'ai recommencé. Je sais; ça vous étonne beaucoup que j'ai arrêté d'écrire jusqu'à ce que je recommence.
Le jour où j'ai recommencé à écrire

Nous étions ce jour là chez mon directeur de master; un homme tout à fait raffiné qui avait compris que l'austérité n'était pas une condition à la réalisation d'un mémoire. Il réunissait ses étudiants chez lui pour que nous discutions de nos sujets autour d'un bon repas sous le soleil dans le jardin. Oui; je me souviens du pesto à la pistache déniché chez un petit producteur du fin fond de l'Italie qui accompagnait les pates cuites à la perfection ce jour là.
Un de mes collègues travaillait sur la question de la fin de vie. Malgré une bonne entente entre nous; lui et moi avions des visions du monde parfaitement opposées. Là où il était un fervent croyant et un bon chrétien; j'étais et je suis toujours la plus impie des laïques. Il défendait ce que j'appellerais; de manière absolument pas objective; de l'acharnement médical. Moi je défendais l'inverse. Et ce jour là; j'ai écrit; pour la première fois depuis longtemps; un texte poétique. Je me suis mise dans la peau d'un homme allongé sur un lit d'hôpital; dans un coma infini; incapable de bouger et malgré cela; conscient de son malheur. Lorsque mon directeur de master m'a demandé de lire mon travail; j'ai buggé. Je l'avais écrit pour réellement toucher mon camarade, sortir des sentiers battus de la recherche universitaire et de l'argumentation logique. Je voulais toucher à quelque chose que l'on oublie trop en philosophie: le cœur. Mais lorsque l'on écrit un texte; même si on a jamais vécue l'expérience décrite; on l'écrit avec son monde intérieur et donc on le révèle. Et j'avais perdu l'habitude de révéler ce monde là. C'est donc péniblement; remplie de doutes et essayant en vain de chasser mon syndrome de l'imposteur; que je lus mon texte; le nez collé à mon carnet; sans oser regarder ni mon directeur de mémoire; ni le camarade de classe concerné; ni mes deux meilleures amies assises également à cette table. Elles n'avaient jamais lu un de mes textes. Après le dernier mot; je relevais lentement la tête; rouge comme une tomate. Et je me souviendrais toujours de leurs regards à tous. Loin d'être méprisants; agréablement surpris. Puis mon amie me dit "c'était super beau". Ils hochèrent tous la tête. C'est ce jour là; et grâce à eux; que j'ai recommencé à écrire.
La pandémie qui m'a dit de me démerder

J'ai terminé mon mémoire en période de Covid. A vrai dire; la fin de mon master a été; comme pour beaucoup d'étudiants, un vrai cauchemar. Mon CDD bien payé de commerciale n'a pas été renouvelé, je n'avais plus cours et j'étais totalement perdue. J'ai eu plus de chance que d'autres; puisque j'habitais dans un petit studio en rez-de-jardin; je pouvais donc quand même sortir et profiter du soleil plutôt que de tourner en rond dans mes 21.5 mètres carrés. J'ai décroché mon master avec difficulté. Mon directeur m'a autorisé à rendre une nouvelle à la place d'un des travaux de recherche; ce qui m'a permis de réintégrer un peu l'écriture créative à ma vie. Entre procrastination et sensation d'abandon; je n'étais pas l'élève la plus brillante de la promotion. Mais j'ai terminé; et je me suis soudainement retrouvée là; dans mon petit studio; sans travail; sans études; face à un marché de l'emploi saturé et incertain, avec un diplôme marginal et pas un rond. J'ai postulé; je me suis vite rendue compte que trouver un travail; ça n'allait pas être du gâteau à la crème. Alors je me suis posée seule avec moi-même. Extrait de mon petit dialogue intérieur:
"Lola, qu'est-ce que tu sais faire ?
-Bah je sais écrire.
-Bon bah alors tu vas écrire.
-Mais je sais pas comment on fait pour être payé pour écrire.
-Google est ton ami".
Et j'ai découvert Fiverr. Une plateforme véreuse et sous-rémunérée dont je vous parlerais dans un autre poste; et que je vous déconseille vivement. Mais je dois reconnaitre que c'est grâce à eux que j'ai compris que c'était possible.
Après avoir écrit quelques articles de 2000 mots pour la somme de vingt euros; j'ai vite compris qu'il fallait que j'aille voir ailleurs. C'est là que j'ai postulé en boucle à des offres de pigiste et que Florence; de Feat-y; m'a répondu; m'offrant mon premier contrat sérieux.
Aujourd'hui; je commence à vivre de l'écriture. Je réalise un rêve d'enfant. Et tout cela après un parcours alambiqué. Finalement; je suis rédactrice ... grâce au hasard.
(Bon mais aussi grâce à mon travail hein faut pas abuser).
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